Le communalisme, Kenneth Rexroth

Le communalisme : Les communautés affinitaires et dissidentes, des origines jusqu’au XXe siècle

Lorsqu’on s’intéresse un tant soi peu au monde actuel et à son histoire, on contaste que la plupart des sociétés humaines se basent sur des principes autoritaires et des systèmes de classes, de castes ou d’ordres hiérarchisés. Il en résulte alors, tout au long de l’histoire humaine, beaucoup de souffrance et d’exploitation.
Cependant, il s’est toujours trouver des individus qui, rebutés par cet état de fait, ont voulu tendre à une société qu’ils et elles considéraient comme plus « juste » et « égalitaire », voire totalement émancipée, que ce soit par la voie révolutionnaire ou par l’établissement « d’en dehors », c’est-à-dire de communautés « d’égaux ».

Dans ce bouquin assez fourni, Kenneth Rexroth présente nombre de ces communautés à travers les âges. S’intéressant à l’idée communautaire, il nous décrit de nombreuses sectes religieuses comme les Frères du Libre Esprit [1] ou les anabaptises et huttérites [2], avides de partage et parfois d’apocalypses rédemptrices. De plus, l’auteur décrit aussi les projets communautaires plus laïques, notamment celles des socialistes dits utopiques comme Owen, Fourrier ou encore Cabet [3].. Ainsi, à travers ce travail, on a l’occassion d’en apprendre plus sur les différentes visions du monde, principes, modes de vie et histoires de ces communautés tentant chacune d’établir leur « communisme ». Non content de s’arrêter à de simples descriptions et récits, Rexroth met aussi en lumière certains invariants à ces différents projets communaitaires. Par exemple, il souligne le rôle essentiel de la religion et/ou de l’idéologie ainsi que des rites pour la cohésion de ces différents projets communautaires et cela qu’ils soient laïques ou religieux.

Malgré l’intérêt que suscite ce taf, on y décerne tout de même certaines limites. Premièrement, et cela est précisé par les éditeurs, les sources dont disposaient Rexroth étaient assez limitées, il faut donc prendre les éléments relatés et les conclusions tirées avec certaines pincettes.
Une autre limite pour nous est le point de vue de l’auteur sur ce qu’il nomme le communisme. À la lecture du bouquin, on devine que pour lui le communisme est un mode de production et de consommation, un modèle de société, quasi transhistorique. En effet, Rexroth, désigne souvent la manière dont vivent et s’organisent ces différentes communautés par le terme de communisme, et cela bien qu’elles aient des idéologies, des principes et aient pris vie dans des réalités historiques ma foi fort différentes. Si nous sommes d’accord avec lui qu’une certaine idée, une certaine volonté de solidarité et de mise en commun, relient ces différentes expériences, nous ne sommes pas d’accord pour faire du « communisme » un modèle de société aussi facilement transposable. Tout d’abord, le communisme, c’est une idée et un concept qui, bien qu’il puise dans une culture et des expériences historiques lui préexistant, est né à la charnière du XVIIIe et XIXe siècle avec l’établissement définitif du capitalisme comme mode de production dominant. En somme, il paraît plus pertinent pour l’analyse d’historiciser davantage le concept de communisme, plutôt que de l’appliquer à des expériences historiques dont les protagonistes ne peuvent pas envisager ni sa conception ni sa pratique.

De plus, le communisme, en tant que mouvement politque et social qui vise à l’abolition des hiérarchies, du travail, de la propriété privée et à l’émancipation des êtres humains par la réappropriation et la transformation collective des moyens de production, doit s’appliquer à une société et même au monde entier. En d’autres termes, il se doit d’être un système hégémonique. Son application ne peut pas se cantonner à des communautés vivant à la marge ou au sein de sociétés hégémoniques qui fonctionnent sur des principes contraires. Si il en est ainsi, et l’histoire de ces communautés et des différents mouvements révolutionnaires radicaux le montrent, un projet de mise en commun radical n’est soi pas viable soit se fait écraser… D’ailleurs, Rexroth lui même pointe parfois cette limite assez clairement. Notamment lorsqu’il s’intéresse à l’histoire des Qarmates puis des Assassins [4], de différentes communautés de bandits et à ce qu’on pourrait nommer le communisme de pillage. Pour lui, le mode de vie et l’existence de ces communautés et sociétés, partiellement ou majoritairement basées, sur la rapine n’étaient et ne sont possibles qu’à l’interstice soit entre les classes d’une société « développée », soit aux marches entre des états ou à leurs frontières. Nous ne pouvons, dans ce cas, que partager son point de vue.

Toujours est-il que, malgré ces limites, les différentes expériences relatées par cet ouvrage, que ce soit par leur conduite, leur échec ou leurs idées, peuvent être utiles, instructives et inspirantes, pour d’éventuels projets révolutionnaires actuels et futurs. Et, loin de l’histoire officielle, parfois progressiste au mauvais sens du terme, ils nous montrent bien que, l’idée d’une vie dont a davantage la maîtrise a de tout temps était plus désirable pour nombre de personnes que la vie pourrie que différents pouvoirs nous vendent et/ou nous imposent depuis belle lurette…

Kenneth Rexroth, Le communalisme : Les communautés affinitaires et dissidentes, des origines jusqu’au Xxe siècle, L’insomniaque, 2019, première parution 1974, 320 pages. Dispo au rayon Luttes, révoltes, révolutions