Coordination Autonome de Brest

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Dans le but d’alléger le texte et de le rendre le plus lisible possible pour la majorité, la forme masculine à été utilisée sauf lors de certaines occurrences du terme de « dépossédé.e.s », ce afin de signifier clairement son caractère englobant. Les propos tenus s’adressent évidemment à tout le monde.

Le texte qui suit est écrit à la première personne du pluriel. Ce « nous » peut, en fonction du contexte, revêtir différentes significations. D’une part, « nous » renvoi au groupe de personnes à l’origine de ce projet de coordination. Dans un sens plus large, ce « nous » renvoi soit au Camp autonome, soit à nous en tant que dépossédés. Ces deux derniers sens ne se recouvrent pas entièrement : ce qui détermine le Camp autonome c’est un projet commun, tandis que ce qui nous détermine en tant que dépossédés, c’est une condition commune que nous reconnaissons comme telle. C’est de cette condition que découle notre projet.

I – avant propos

Dans le contexte d’une société qui nous dépossède de tout pouvoir sur nos vies, où le capitalisme et ses États, non contents de la misère et de la domination où ils nous enferment, nous mènent à une catastrophe écologique et humaine ; à une guerre de tous contre tous, nous considérons qu’il est plus que nécessaire de nous organiser de manière conséquente pour leur renversement et notre émancipation commune.

Le développement d’une structure autonome et ouvertement révolutionnaire permettrait de mettre en lien de manière formelle donc rejoignable et reproductible, à la fois des individus et des collectifs s’organisant par eux-mêmes, à la base, partageant la volonté d’une organisation et d’une émancipation commune. Une structure qui se développerait en dehors de toute instance prétendant nous représenter ou nous diriger. Voici la plateforme et le fonctionnement que nous proposons.

Nous sommes un certain nombre de personnes qui partagent la conscience d’appartenir à une immense majorité dépossédée de son pouvoir sur sa vie. Cette dépossession va des moyens de production matériels de notre existence, jusqu’à notre intimité en passant par les structures de décision. Nous partageons cette conscience d’appartenir à la main d’œuvre atomisée d’une société globale qui entend nous envoyer en première ligne dans sa chute.

Cette prison en train de sombrer s’efforce de faire croire à ses petites mains qu’elle entraîne avec elle dans l’abîme qu’aucun ailleurs ne serait plus envisageable, qu’il n’y aurai « aucune alternative » alors même que personne ne croit plus en elle. Pour cause. Parmi nous, les dépossédé.e.s, nombreux sont celles et ceux qui, privés de perspectives et de sens, se réfugient dans le culte de leur petit égo recroquevillé ou l’obsession d’une reconnaissance de leur nombril « bafoué », dans le cocon protecteur imaginaire d’une « identité ». De mème, beaucoup se réfugient dans le nationalisme, dans la recherche d’une tribu, dans la bonne conscience de l’idéologie répétée. Mais cela peut aussi s’exprimer dans la fuite en avant qu’une recherche d’absolu frustré exprime dans un fascisme religieux et ses brutalités suicidaires.

Nous sommes liés par des liens affinitaires et politiques, et sommes insatisfaits du fonctionnement mondain et culturel qui régit ce qui devrait être notre camp politique : l’autonomie. Un camp politique qui s’apparente plutôt à un milieu de sociabilité plus ou moins clos entraînant une grande confusion. Ce phénomène floute en permanence la distinction nécessaire entre l’existence ou le fonctionnement de formes d’organisation, de pratiques et de points de vue politiques et les relations affinitaires qui bien souvent les accompagnent.

Cela entraîne pour nous:

– Une logique d’empêchement de la critique et de l’expression franche d’idées donc aussi parfois de désaccords, qui entrave souvent les discussions de fond réelles et contradictoires. En somme, cela empêche la progression d’une réflexion mutuelle. Ceci provient du mélange confus des rapports politiques et affinitaires qui entraîne souvent une auto-censure par peur « de perdre des potes » puisque accord et désaccord, affinité et non-affinité sont mélangés voire confondus. Ce travers qui tend à se développer dans tout groupe clos recouvrant une grande partie de la vie sociale de ses membres, entraîne le développement d’un conformisme mou, a-critique, voire de non-pensée, qui, on en conviendra, ne mène jamais à une quelconque forme d’émancipation.

– La difficulté à entamer des liens, un développement et une mise en commun concrète et intéressante au niveau politique à partir de nos objets spécifiques : collectif de précaires, bibliothèque, édition/diffusion, caisse de soutien, espace de soin social autonome… Ce qui pourtant, permettrait de dépasser leur cloisonnement et faire apparaître leur inscription dans un mouvement commun et cohérent qui englobe leur variété.

– La difficulté à s’ouvrir vers l’extérieur, et à se rendre appropriable et reproductible puisque finalement une personne arrivante se sentira toujours confrontée à un bloc dont les contours informels lui apparaîtrons forcément sans qu’elle en comprenne toutes les subtilités. Ceci mène soit à une frustration pour elle, soit à un sourd rejet grégaire, voire même hautain ou méprisant. Dans un tel enchevêtrement il devient quasi-impossible de s’ouvrir, d’être rejoint et réapproprié par des personnes ne partageant pas les codes et modes de fonctionnement d’un milieu restreint finalement plus subculturel que politique. A savoir l’immense majorité des dépossédé.e.s. Ce qui est pourtant notre objectif principal puisque nous sommes des révolutionnaires.

Pour toutes ces raisons il nous semble capital d’établir une coordination autonome qui permette à la fois d’articuler les énergies et les projets, tout en réfléchissant et en alimentant notre camp (textes communs, apparaître clairement comme une force politique, etc.). Et cela en évitant deux écueils :

– perdre en clarté, se voir politiquement dilués dans une marge contestataire confuse, floue ou une alternative flottante,

– à l’inverse, reproduire les formes politiques hiérarchisées et séparées de la vie quotidienne qui participent de notre dépossession et que nous combattons (partis politiques, syndicats …)

Ce projet suppose donc de développer une ligne politique autonome claire et cohérente. Il ne s’agit ni d’une assemblée de gens « en lutte contre » (selon des modalités et des objectifs qui finalement importent peu si on remplit le critère « d’être contre »), ni non plus d’un « parti politique » prétendant représenter l’autonomie et qui aurait pour vocation non pas de structurer, mais d’uniformiser et de mettre sous contrôle hiérarchique les collectifs, groupes ou individus se revendiquant de l’autonomie.

Toutefois la volonté de constituer un camp politique suppose de la cohérence entre ses composantes malgré leur diversité en terme de champs d’action, de pratiques et de fonctionnement. Par conséquent, il faut donc bâtir une ligne commune minimale, des points intangibles qui permettent de garder un cap. Autrement dit, si le but de cette coordination est notamment d’échanger tactiquement et de discuter ensemble de théorie, il est nécessaire, pour ne pas se transformer en « agora » politiquement improductive et vide de sens, de définir précisément au sein de quel camp (quel objectif et quelle stratégie pour l’atteindre) ces échanges se produisent.

En somme, il s’agit de définir comment s’organiser de manière autonome mais partisane, comment construire une forme d’organisation à la base, multipliable et sans aucun centre mais qui soit clairement un camp et apparaisse comme tel. C’est-à-dire qui soit identifiable, compréhensible, rejoignable, et donc reproductible.

Nous pensons que les formes théoriques et pratiques que nous pouvons développer et tester, les qualités et défauts que nous pourrons éprouver dans les conditions qui sont les nôtres et à notre petit niveau ont un intérêt expérimental certain. Nous espérons qu’elles pourront inspirer, êtres appropriées, traduites et multipliées par d’autres camarades qui évoluent dans des contextes ne permettant pas la relative tranquillité d’expérimentation que nous avons.

II – Objet de la coordination autonome

Notre objectif est de reprendre le pouvoir sur notre vie et de construire une société émancipée, pour et par nous-mêmes. Il est ici bon de noter que contrairement à certains courants mystiques de l’anarchisme, nous ne prétendons pas détruire le pouvoir. Le mot « pouvoir » ne signifie pas uniquement « pouvoir sur », « pouvoir hiérarchisé » ou privé. En effet, le mot pouvoir signifie également « possibles », « capacités », « pouvoir de » décider, de faire des choses… Nous pensons que définir le pouvoir uniquement comme une valeur négative et réduite à sa dimension de « pouvoir sur », voire de pouvoir séparé, hiérarchisé, revient à nier des rapports de pouvoir réels entre individus. Des rapports qui ne disparaîtrons pas et qu’il convient néanmoins de reconnaître pour les analyser et pouvoir les mettre question. Par exemple, si j’ai plus de savoir que quelqu’un, j’ai plus de pouvoir, de compétences. Mais, si je le transmets, le partage et le considère comme critiquable et non absolu alors je n’exerce pas de domination bien que je dispose d’un pouvoir. Lorsque nous parlons du pouvoir sur nos vies, cela suppose un double processus d’émancipation individuel et collectif.

De plus, nous ne partageons pas la croyance millénariste portée par certains courants du mouvement révolutionnaire en une fin de l’histoire qui équivaudrait à un retour rédempteur au « paradis originel », un grand soir qui serait suivi par une aube de perfection immobile où tous les problèmes seraient résolus comme par magie. Le combat pour la construction et la défense d’une société autonome se mène dés à présent et ne s’achèvera peut être jamais.

Nous avons également à rappeler la nécessité d’une cohérence entre le fonctionnement de nos collectifs, de nos pratiques et de notre projet politique. En somme, c’est en s’inscrivant dans une certaine forme de radicalité (prendre les choses à la racine) et dans la lutte contre toute complaisance ou connivence avec le monde tel qui va, que nous sommes révolutionnaires. Cette radicalité suppose également une opposition totale aux volontés fantasmées de changement par le haut portées par certains courants politiques. Nous sommes opposées à ces pratiques incarnées par l’entrisme ou le noyautage de l’appareil d’un parti politique, d’un syndicat, de l’État ou de la hiérarchie d’une de ses institutions.

Cette coordination autonome est une forme d’organisation à la base, par et pour nous-mêmes visant à construire notre autonomie, notre pouvoir commun à l’échelle sociale contre tout ce qui l’empêche. Il s’agit d’une force partisane s’inscrivant dans une logique de conquête révolutionnaire de la société. D’une conquête de tous les rapports sociaux.

Une force partisane car l’autonomie n’est pas qu’un mode d’organisation ou un ensemble de pratiques, c’est aussi un principe et un but à l’échelle sociale. Le terme « autonomie » signifie « se donner à soi même ses lois », nous vivons en société et jamais comme individus isolés, nous sommes interdépendants. Ainsi, au sein de l’autonomie les dimension individuelles et collectives sont irrémédiablement indissociables. On ne peut être libre dans une société qui ne l’est pas.

La construction de l’autonomie ne peut être envisagée que comme celle d’un pouvoir commun, c’est à dire qui appartient à l’ensemble autant qu’à tout ce qui le compose ; un pouvoir à la base. La construction d’un pouvoir de tous donc forcément de chacun, d’un pouvoir de chacun donc forcément de tous.

Il s’agit d’un rapport social autant qu’individuel, public comme intime, interne comme externe. Un rapport au monde complet, au sens complet du terme rapport, sous ses deux aspects inséparables : la pratique sociale concrète ainsi que la représentation psychique et culturelle des choses et du monde. L’autonomie c’est la production d’un pouvoir commun de tous et toutes sur nos vies dans l’intégralité de leurs dimensions. Un pouvoir à la base, partout et tout le temps, dans nos représentations comme dans nos pratiques.

Cet aspect rentre violemment en contradiction avec le monde dans lequel nous vivons, et ce sur tous les plans. La construction de l’autonomie ne peut donc être que partisane mais elle n’est pas « partidaire ». L’autonomie ne peut être un parti politique, produit et agent de cette société. Elle ne peut être un parti prétendant représenter qui que se soit, une organisation déconnectée de la vie quotidienne, défendant des intérêts particuliers sous couvert d’intérêt général. Elle ne peut pas être une force d’aliénation ou de captation de notre pouvoir.

L’autonomie part de la base et reste à la base. La société dans laquelle nous vivons, quant à elle, est fondée sur la hiérarchie à tous les niveaux et sur la dépossession de notre pouvoir à tous et à chacun . Il s’agit d’une société basée sur l’aliénation c’est-à-dire l’hétéronomie. Une telle société rentre donc fondamentalement en contradiction avec l’autonomie.

Le développement de l’autonomie ne peut se faire qu’en lutte contre cette société de marchandises, de hiérarchies, d’exploitation et de concurrence généralisée. La poursuite de son but doit passer par la destruction ou le dépassement de toute les formes de rapports et de représentations qui l’entravent. Une coordination autonome ne peut être que partisane et révolutionnaire. L’autonomie comme pratique ne peut être séparée de l’autonomie comme principe reproductible et généralisable. Elle ne peut s’envisager que comme projet de société dans son ensemble.

A ce titre « autonomie » ne doit pas être confondue avec « démocratisme ». Ce n’est pas une de ces formes radicales de la mystification libérale concevant la liberté de chacun indépendamment de celle de tous. Elle n’a pas pour objet d’être espace d’expression des petits egos privés, narcissiques et concurrents produits par la société des marchandises. Elle n’accorde aucun pouvoir, aucune place à des volontés ou des intérêts en contradiction avec ceux de l’émancipation globale, de la construction de l’autonomie de tous.

Nous vivons en société, l’autonomie ne peut être que collective. Il n’y a pas d’autonomie privée qui donc en priverait les autres, pas d’autonomie de ce qui empêche l’autonomie. Au contraire dans le « démocratisme » et le libéralisme se concrétise l’hétéronomie, la dépossession et les hiérarchies sous le masque illusoire des libertés conçues séparément et en concurrence. Pour nous, il n’y a pas d’autonomie concevable pour les ennemis de l’autonomie.

Avec qui et par rapport à quoi construire l’autonomie organisée ?

Cette forme d’organisation autonome, reproductible et multipliable s’adresse à nous tous qui formons l’immense masse dépossédée de notre pouvoir collectif et individuel sur nos vies. Cette dépossession est une condition commune. Elle comprend de nombreux aspects et n’a ni pays, ni sexe, ni couleur de peau exclusive. Notre condition commune est déjà, concrètement que:

Par delà nos différences, aussi diverses que le sont les humains, nous appartenons à une immense majorité, une base sociale produisant un monde qui s’édifie sur nous et ne pourrait fonctionner sans nous mais qui ne nous appartient pas, dont nous sommes dépossédés.

Notre pouvoir réel collectif comme individuel sur nos vies et nos possibles nous est rendu étranger, aliéné. Malgré les différences et les inégalités diverses qui existent entre nous, cette condition de dépossession que nous partageons est universelle, nous sommes interdépendants à l’échelle du globe.

1 Cette condition de dépossession commune se manifeste concrètement:

– Premièrement, cela s’exprime par le fait d’être dépossédés de notre pouvoir par le système capitaliste qui nous accapare tous et nous transforme en marchandises concurrentes exploitées et hiérarchisées. Ce système que nous produisons et reproduisons comme rapport social, se concrétise par le règne de l’échange marchand sur toutes les facettes de nos vies. C’est un système total dont nous sommes autant les acteurs que la main d’œuvre « aveugle ». Ce système cadre et conditionne nos vies, nos interactions, et nos représentations. Il nous rend comme étrangers à nos rapports au niveau interindividuel comme au niveau social, faisant de nous des automates exécutants des mouvements dont nous ne sommes pas maîtres. Cependant ce système, ce rapport social permanent et entre tous (du voisin le plus proche au partait inconnu à l’autre bout du monde) n’est dirigé in fine que par une classe minoritaire. Une classe qui possède et concentre de manière exclusive le pouvoir sur les plus importants moyens de production de notre vie sociale, à commencer par ceux nécessaire à notre subsistance matérielle mais également ceux nécessaires à la production et la diffusion culturelle, de normes, etc. Ce pouvoir exclusif et privatif prend notamment la forme de la propriété privée des moyens de production.

Deuxièmement, cela s’exprime aussi par le fait d’être dépossédés de notre pouvoir décisionnel commun par les structures hiérarchiques, en premier lieu les États. L’existence de ceux ci est consubstantielle au maintien de l’ordre d’une société inégalitaire et à la domination d’une classe dépossédante (qu’elle s’appelle bourgeoisie, grande bourgeoisie, bureaucratie, technocratie…). Leur structure même appelle et produit nécessairement une telle classe ou caste.

Voilà pour notre condition matérielle commune, au-delà de nos différences et contradictions internes. C’est tout d’abord contre et face à ce double visage concret de notre dépossession générale que nous devons construire notre autonomie collective. Nous devons absolument nous unir contre l’État, le Capital et ses patrons (ainsi que son présupposé : la marchandise). Socialement, c’est œuvrer à ce que la base de la pyramide que nous constituons, consciente que tout repose sur elle, se sépare et s’oppose à tout ce qui se construit sur son dos, captant tout ce qu’elle produit et l’écrasant de son poids mort. Toute pyramide a besoin d’une base, l’inverse n’est pas vrai.

Notre émancipation suppose donc comme conditions matérielles la suppression de toute forme de

propriété privée des moyens de production. Elle suppose aussi la destruction de toutes formes de

hiérarchie fixes et de toutes forme d’État, organe prétendant planer au dessus de la société et la

diriger.

Ceci n’est évidemment pas suffisant mais dans une société, aucune liberté, aucune émancipation conséquente, aucun pouvoir réel sur sa vie n’est envisageable sans pouvoir sur les moyens matériels de produire cette vie sociale.

De plus, encore faut-il que cette vie sociale permettant l’émancipation soit elle-même possible. Or, elle ne peut se produire qu’au sein d’un écosystème qui la comprend. Cet écosystème a des dimensions et des capacités finies, qui ne peuvent donc supporter une société qui produit des marchandises sans limite et croît économiquement à l’infini. Or dans un système basé sur la propriété privée des moyens de production, l’on produit pour vendre, plutôt que pour l’usage réel, ce qui implique à la fois concurrence, obsolescence des produits afin de rendre nécessaire leur rachat rapide et croissance compétitive infinie.

Aussi misérable qu’elle soit, aucune vie humaine à grande échelle n’est donc possible à long terme dans ce cadre marchand et capitaliste. En effet, au-delà de la possibilité de conditions de vie confortables pour tous et de la pérennité d’une certaine abondance que seul un mode de production en commun peut rendre envisageables dans la durée, seule une possession commune des moyens de production est compatible avec la préservation même de l’immense majorité d’entre nous comme de l’écosystème dont nous faisons partie. Il s’agit donc là d’un intérêt proprement vital que nous partageons. Supprimer et déraciner ce système parasitaire d’exploitation généralisée est une question de nécessité collective. Il s’agit d’une base minimum pour toute projection sérieuse dans l’avenir. Une révolution mettant à bas ce système marchand jusque dans ses fondements est, qu’on le veuille ou non, un préalable à toute considération écologique ayant les pieds sur terre, c’est à dire qui prenne en compte les choses telles qu’elles sont à l’échelle du globe. Parler d’écologie sans lui poser comme condition préalable la mise en place d’un mode de production en commun n’est que fantasme rassurant, bonne conscience de ghetto doré et production de nouveaux marchés.

Les forces défendant les structures de dépossession que sont l’État et la propriété privée des moyens de production sont celles de nos ennemis.

2 Notre dépossession partagée n’est pas que matérielle.

Elle se situe aussi dans les représentations que nous avons de nous mêmes, des choses, du monde. La croyance et l’impression si communément partagées que des choses, des normes, des symboles qui sont produits socialement par les humains eux mêmes existeraient comme indépendamment d’eux et qui auraient une autonomie au-delà des humains qui les produisent, reviennent à nous déposséder de notre pouvoir sur ces choses. Dès lors, ces créations apparaissent comme des réalités indépendantes de nous, voire éternelles et exercent ainsi leur domination. La liste est longue mais il convient de citer :

– La croyance dans le fait que les rapports entre humains seraient naturellement des rapports entre producteurs indépendants les uns les autres qui échangent des marchandises, alors que pourtant aucune vie humaine n’est possible en dehors d’une société donc d’une interdépendance et d’une certaine forme de commun.

– La croyance dans le caractère autonome et flottant d’une Économie, qui ne serait pas le produit de nos interactions sociales, de formes spécifiques de rapports entre nous quant à la satisfaction de nos besoins, et donc, qui aurai comme une sorte de volonté propre à laquelle nous devrions nous soumettre.

– La croyance en des dieux, entités ou principes qui existeraient au-delà de nous pour nous diriger ou nous juger, est, de même, une aliénation profonde de notre capacité à concevoir notre propre pouvoir.

– L’assignation et l’auto-assignation dans des cases, des rôles sociaux fixes, des costumes que nous endossons comme une identité que nous prenons pour telle, qui nous cadrent, nous limitent, nous dépossèdent les uns les autres de notre richesse interne et mutuelle et de notre capacité à la percevoir. Ces processus d’assignation nous dépossèdent de notre pouvoir, de notre autonomie pour les remplacer par des illusions simplificatrices. Par exemple, les diktats multiples dans la construction de ce que recouvre le masculin et le féminin, ainsi que les divisions de taches, de rôles bien délimités, de comportements stéréotypés qu’ils entraînent en sont notamment une bonne illustration.

– Il en va de même pour les représentations imaginaires et symboliques de délimitation de soi, de l’autre, du même, du différend. Par exemple, la catégorisation de soi et des autres à partir de certains types physiques ou autres dans des catégories d’ordre fictionnel, comme des races, sont des aliénations des dépossessions de notre conception de nous mêmes.

Les inégalités entre dépossédé.e.s

Au delà de notre condition commune de dépossession, il est évident que la base que nous formons à l’échelle sociale n’est pas uniforme. Il y a des inégalités entre nous. Celles-ci sont multiples et doivent être combattues comme obstacles à notre autonomie collective, au libre développement de chacun comme de tous.

Être à la base dans un certain rapport social, appartenir à la base sociale à l’échelle de la structure d’une société ne signifie pas que l’on soit forcément à la base dans tout autre type de rapport. « Tout pouvoir à la base » ne signifie pas « tout pouvoir au peuple » et ne signifie pas seulement « tout pouvoir aux travailleurs, ou aux prolétaires » mais : « tout pouvoir à tous ». C’est à dire que ce qui s’applique à un groupe s’applique aussi à tous les membres qui le composent. Ce qui s’applique à tous s’applique forcement à chacun. Sinon « tous » ne serait qu’un mot abstrait.

Nous évoquions la conception enfermante du masculin et du féminin intrinsèquement liée à une division des taches sociales qui s’applique de manières diverses selon les endroits du globe mais à nous tous. Ces représentations alimentent et se nourrissent des inégalités profondes dans les rapports sociaux sexués, donc aussi entre nous. Pour reprendre un autre exemple cité, il en va de même pour la classification de soi et des autres dans des catégories fictionnelles raciales forcément essentialisantes, que l’on sépare (le racialisme) et son corollaire l’inégalité voire la domination (le racisme). Ces inégalités et les rapports de domination qu’elles peuvent engendrer entre nous ont toujours été utilisés par la classe dépossédante dans le maintien de l’ordre social, de la division, de la concurrence et dans l’extraction de plus-value qui lui est liée.

Aujourd’hui le monde sous toutes ses facettes est totalement marchand et capitaliste. Toutes les économies sont reliés entre elles et fonctionnent sur les même principes : échange marchand, exploitation. Les rapports de production capitalistes, tant à l’échelle locale que mondiale, produisent ainsi en permanence de la concurrence et des inégalités entre les dépossédés. Ces rapports de production ne consistent pas dans les faits entre d’un côté une minorité capitaliste et de l’autre une immense « plèbe » dont les membres seraient totalement à égalité de condition, que se soit en termes économiques ou en termes de pouvoir.

A l’échelle mondiale, le résultat de cette mise en concurrence généralisée est notamment observable par les différences de niveau de vie des classes les plus exploitées entre chaque pays et la répartition des produits qui leur est liée. Cependant, au sein de la base sociale, comme dans tout autre domaine d’une totalité telle que la société, ce qui vaut pour une partie a des conséquences pour toutes les autres.

Par exemple, les grands groupes textiles produisent des chaussures en Chine et au Bangladesh, où les salaires sont misérables et non plus en Europe où les salaires sont plus élevés. Ces chaussures sont ensuite revendues dans les pays dits « riches » à un prix indexé par rapport aux salaires, ceci permettant aux possesseurs des grands groupes qui les produisent de maximiser directement leur profit. D’un autre côté, avoir des zones où les salaires sont bas, permet de faire pression sur les salaires dans les pays au niveau de vie plus élevé. Cela se produit autant en agitant l’épouvantail de la concurrence globale que simplement par le fait que les chaussures de notre exemple coûtent moins cher à produire donc peuvent être vendues moins cher et que, par conséquent, les salaires qui servent à se les payer peuvent donc baisser.

Ce genre de phénomène regroupe des pans entiers de la production à l’échelle mondiale et illustre bien la concurrence et l’inégalité que le capitalisme entraîne au sein de la base des producteurs en même temps que la profonde interdépendance de nos conditions de vie. Pour nous, la seule voie réelle et réaliste de notre émancipation passe par la solidarité internationale entre les dépossédés du monde entier. On ne peut nier le fait que cette concurrence ne sert in fine que les intérêts de ceux qui la produisent, à savoir les possesseurs privatifs des moyens de production de notre vie sociale, de l’économie aux structures de décision. Pour nous engager dans un réel processus d’émancipation globale il faut que nous nous appuyions sur notre condition commune de dépossession à l’échelle des rapports mondiaux, économiques comme (géo)politiques tout en ayant une vision réelle de comment ces rapports sanctionnent des inégalités entre nous.

Nous parlions des rapports internationaux mais, bien entendu, inégalité, ou encore concurrence et hiérarchie règnent dans la sphère du travail au sein d’un État ou d’une localité quelconque. L’exemple du chef d’équipe à l’usine est sur ce point assez éclairant. En effet, les chefs d’équipe sont, comme les ouvriers de base, des exploités, puisque, comme eux, ils vendent leur force de travail au patron, ce qui lui permet d’en tirer une plus-value. Leur salaire n’étant pas beaucoup plus élevé, leurs conditions de vie sont souvent similaires à celles des ouvriers et des employés subalternes. Mais, ils sont aussi, de part leur fonction, les contrôleurs de la main d’œuvre exploitée et font en sorte que le travail se déroule correctement, que la main d’œuvre accomplisse sa tâche pour le bénéfice du patron. Cet exemple volontairement classique de l’usine se traduit aussi bien sur un chantier du bâtiment, dans un supermarché avec ses chefs de rayon, dans un fast-food, dans le cas de divers types de management…

Ainsi, si l’on ne peut qu’appuyer sur notre condition commune de dépossédés, cela implique aussi d’être lucides sur les différences de position que le mode de production implique. Dans le cas du chef d’équipe et de l’ouvrier, on ne peut faire l’impasse sur le fait que le premier est dans une position de coercition vis à vis du second. Cela entraîne, que dans une lutte commune, la position de chef d’équipe soient combattue en tant que position d’agent de contrôle, d’agent de la dépossession, qu’elle soit combattue au même titre que le système général dans lequel elle s’inscrit.

Dans la construction de notre autonomie commune face à l’État, au capital et leurs patrons, nous devons construire l’égalité entre nous, et combattre ainsi toutes les formes de hiérarchies qui entravent le développement de l’autonomie de chacun. Par exemple, s’il est clair qu’un petit commerçant ne détient ni les moyens de productions véritables, ni les clefs du pouvoir politique, il n’en reste pas moins un marchand (capitaliste), un patron qui peut exploiter une ou deux personnes, et qui exerce peut-être bon nombre d’autres dominations par ses comportements. Lutter avec lui pour notre émancipation commune supposerait donc qu’il adhère au projet général et entraînerait que ses intérêts particuliers ne rentrent plus en contradiction avec les intérêts généraux. Cela supposerait que l’expression de son pouvoir ne soit plus privative et dépossédante mais s’insère dans un commun. Il ne peut lutter pour les intérêts de ses employés en restant leur employeur donc leur exploiteur. Il ne peut lutter contre leur dépossession commune à tous tout en continuant tranquillement, lui, d’exercer un pouvoir dépossédant sur eux. Il devra choisir son camp, s’associer à eux et à tous dans le pouvoir commun, ou garder son petit pouvoir privatif et exploiteur.

Il ne s’agit pas là de la promotion d’une « égalité de droit » abstraite de type libérale. Il ne s’agit pas non plus de celle d’une égalité mythique absolue qui nierait de manière dogmatique les diversités de capacités et d’inclinaisons parmi nous. Une égalité mythique absolue qui tendrait finalement à niveler tout le monde vers une médiocrité et une impuissance générales basées sur l’empêchement et la culpabilité. Il s’agit de la lutte pour une égalité réelle. Il s’agit de combattre tout rapport social ou représentation qui entérine les hiérarchies, la possession privative des moyens de production, des moyens de se loger, de vivre comme on l’entend, etc., ainsi que les assignations empêchant le libre développement des capacités de chacun donc de tous.

Cela passe par la destruction des structures sociales et culturelles qui font que le pouvoir institué de certains sur les autres dépossède ces derniers de leur pouvoir. Cela passe par la suppression de toute forme de « pouvoir sur » de certains qui contredirait le développement du « pouvoir de » des autres, afin que ces « pouvoir de » , loin de s’opposer, deviennent un « pouvoir avec ».

L’autonomie est une socialisation, une mise en commun du pouvoir sur tous les moyens de production de notre vie sociale, des moyens de subsistance à nos interactions les plus quotidiennes. C’est un communisme réel.

Il est une évidence stratégique que la lutte contre les inégalités entre dépossédés ne doit jamais flouter ou nier ce qui nous unit, notre commun et notre lutte commune et mondiale contre ceux qui nous dépossèdent tous. La lutte contre les inégalités entre dépossédés ne peut pas se baser sur des processus de construction identitaires et donc aliénants. Sans quoi elles ne sont que des luttes de fraction d’intérêt particulier qui ne servent finalement qu’à la reproduction de la société que nous combattons et au renforcement du pouvoir de nos ennemis.

De nombreuses forces se veulent les chantres de l’émancipation, de l’égalité et les pourfendeuses des inégalités ou des dominations sans promouvoir clairement la nécessité de la suppression des obstacles collectifs fondamentaux que sont la propriété privée des moyens de production et l’État. Ces « forces » invisibilisent, floutent ou minimisent l’importance de ces questions matérielles, de ces rapports de pouvoir concrets et inscrits. Elles utilisent des termes assimilant les personnes ayant un pouvoir privatif (donc dépossédant) sur des moyens de production ou des structures de décision sociales et celles qui n’en ont pas et se présentent donc comme sujet identitaire collectif ayant un but et des intérêts communs. Elles font ainsi passer pour des intérêts communs ce qui ne sont que des intérêts particuliers voire privés, qui pour exister ne peuvent se baser que sur la perpétuation de la dépossession de la majorité. En ce sens, elles sont des forces servant, consciemment ou non, les intérêts de nos ennemis. Par exemple, ces forces s’appuient et font la promotion des concepts identitaires et mobilisateurs que sont la nation, la race. Dans d’autres cas, ces forces font un usage identitaire de concepts comme le sexe ou le genre.

Également, il convient de préciser que racialisme et racisme, s’ils peuvent avoir des formes et des intensités différentes, êtres institutionnalisés, étatisés, ou non, avoir des formes dominantes et des cibles ou objets spécifiques à un endroit et à une époque donnés, n’ont pas de couleur, de pays, de culture qui en soient exclusivement propriétaires ni d’autres qui en soient exemptes par essence. Il y a selon les endroits et les époques des racismes dominants ou minoritaires, institutionnels ou non.

Plus largement, toute conception identitaire de soi, qui construit des cases plutôt que de penser les rapports qui nous lient et nous traversent toutes et tous est une conception fondamentalement conservatrice. En effet, on ne peut concevoir de transformation en pensant en terme de fixité, de permanence. Penser par catégories de manière statique sans penser les rapports réels qui les fondent ou en floutant le rôle de ces derniers, plutôt que d’envisager ces catégories ou représentations de manière dynamique, empêche de percevoir leur relativité et rend donc impossible leur dépassement. Ces manières de concevoir les choses ne peuvent qu’entraîner la poursuite d’intérêts partiels et catégoriels, aliénants en eux mêmes. Elles entraînent une volonté d’accaparement de type corporatiste de parts du gâteau au sein de la dépossession générale et au détriment des autres et finalement aussi de soi même.

Une conception identitaire de nos rapports à soi, à l’autre et au monde, par laquelle les sujets deviennent des objets, les êtres deviennent des choses, les formes vivantes deviennent des images s’accorde bien évidemment à merveille avec le capitalisme généralisé. En effet, elle touche au principe même du monde des marchandises et des hiérarchies fixes. Elle est si profondément liée à la division des taches et rôles sociaux, à la fragmentation de toute vie sociale en une multitude de postes de travail séparés que l’on ne peut concevoir l’une sans l’autre. Le capitalisme total dans lequel nous vivons s’alimente et produit donc en permanence toujours plus de ces identités dépossédantes et en concurrence. Elles sont tout autant des marchandises en compétition que des parts de marché pour produire de nouvelles marchandises afin répondre aux nouveaux « besoins » de ces identités qu’on s’assigne et qu’on nous assigne.

En effet, le capitalisme est en recherche permanente de « matières premières » à partir desquelles produire de la valeur. Cette recherche appropriatrice se fait géographiquement, dans l’espace physique, mais se développe aussi en profondeur, dans l’espace social, à partir notamment de la production de catégories identitaires valorisables.

Actuellement, le capitalisme est ainsi également queer, multi-communautaire et pluri-religieux, on en a pour tous les goûts. L’exemple de l’évolution du mouvement queer en est assez illustratif. En effet ce qui était à ses origines un mouvement s’inscrivant dans une volonté de subversion des rapports sociaux notamment des normes sexuelles, donc de ce qui est partagé, commun, est pour l’essentiel devenu une identité, devenu privatif. Il est donc devenu marchandise, matière à exploiter. On peut ainsi acheter des t-shirts « non binaires » fabriqués par des enfants surexploités au Bangladesh pour montrer son appartenance à sa communauté LGBTQI+. Ce faisant on peut se construire l’identité d’un opprimé en lutte bien spécifique et bien délimité et se valoriser dans la société telle qu’elle est tout se dispensant du moindre effort d’inscription dans un mouvement quelconque de remise en question et de transformation de celle-ci. C’est à dire de transformation des rapports sociaux complexes qui nous lient toutes et tous à l’échelle du globe comme à l’échelle intime. L’identitarisme, et c’est sa grande qualité en tant que narcotique et leurre, permet d’occulter la question des rapports, jusqu’à la possibilité même d’y penser.

La construction de l’autonomie ne peut être qu’en contradiction fondamentale avec les logiques identitaires et les processus aliénants qu’elles entraînent et qui les accompagnent. Ce cancer de repli apeuré et paralysant se métastase depuis les laboratoires d’idées néo-fascistes et les groupes qu’ils alimentent, dans les médias, les discours des divers marchands de politique et entrepreneurs en identité. On retrouve ces discours et ces phénomènes jusqu ‘au sein de micro-sectes auto-alimentées classées à gauche qui prennent pour objet un vécu, une spécificité ou un sentiment d’appartenance, en font leur Graal et l’opposent au reste du monde défini comme un extérieur qui les agresseraient.

« Autonomie » est donc indissociable de « communisme », et ne peut se penser que comme reproductible et traductible dans toutes les facettes de l’universel, de notre monde commun. Elle n’a pas d’identité spécifique, elle n’est la propriété de personne en particulier, puisqu’elle appartient à tous.

La conception et la construction de l’autonomie sont politiques, elles se basent sur les rapports des humains entre eux, les rapports de pouvoir (qu’il soit « de », « sur » ou « avec ») dans le cadre d’une société. Cette société s’encre dans un écosystème et il est évident et vital que son rapport à celui-ci ainsi qu’aux autres espèces qui y participent doivent être profondément transformés. Mais nous le concevons de manière radicalement différente que ne le font certaines idéologies, notamment l’écologie profonde ou l’anti-spécisme.

Prenons le cas de l’anti-spécisme afin d’illustrer certains aspects pernicieux qui ne lui sont pas propres ; on trouve notamment certains de ces biais dans de nombreux courants dérivés de ce que l’on nomme « post-modernité ». Il pousse cependant ceux-ci à l’extrême et les rend ainsi plus flagrants. Il s’agit d’une idéologie de type moraliste parmi d’autres, s’appuyant sur les notions de bien et de mal, de domination (vue comme une question morale, non comme la conséquence d’une position dans le cadre d’un rapport de forces) ainsi que de souffrance. Comme les autres idéologies de ce type qui sont souvent conservatrices, élitistes et autoritaires dans leurs finalités sociales conscientes ou non, il entraîne à confondre morale ou éthique et politique. Voire même, ce qui est encore plus dangereux, rapports biologiques et rapports sociaux. Il peut ainsi conduire à ne pas voir la différence entre pouvoir de décision unilatéral dans les rapports entre espèces et rapports de forces ou de réciprocité dans le cadre d’une société dont la forme est produite par ses membres (ce qui fait le caractère politique des rapports entre humains).

Cette confusion entre rapports entre espèces, dont l’une a, de plus, un pouvoir incommensurable sur les autres, et rapports politiques tend ainsi par effet de miroir à flouter dans les rapports sociaux la différence profonde entre « vouloir le bien des autres à leur place » et se libérer par soi même. Ceci peut aussi amener à mettre l’accent sur le premier au détriment du second. Comme si, dans les rapports humains les questions d’inégalités et de domination se réglaient par le simple bon vouloir ou encore la charité de la part de qui tient la position dominante. Ceci tend à déposséder d’autant plus les personnes qui le sont déjà, ce jusqu’à la négation insidieuse de leur capacité à agir, de leur qualité de sujet dans un rapport social.

A titre d’exemple pour illustrer les dégâts que ces structures de pensées peuvent entraîner voici un slogan trouvé sur un autocollant : « Prolétaires de tout les pays, qui lave vos chaussettes et qui se retrouve dans vos assiettes ? »… Il s’agit d’un exemple type du mécanisme pernicieux qui fait ici passer d’une volonté sûrement sincère mais indistincte et confuse de promouvoir une « égalité totale du vivant » à une quasi-négation de la capacité des femmes à être sujets. Ce type d’idéologie n’a rien à voir pour nous avec l’autonomie, ni d’ailleurs avec une conception proprement politique des choses et est profondément vectrice de confusionnisme et de tendances régressives et conservatrices.

III – Mise en pratique et fonctionnement de la coordination autonome

Cette coordination autonome a pour but de réunir et de permettre l’organisation de manière non affinitaire de collectifs et d’individus partageant la conception du monde et les objectifs que nous avons évoqués (autonomie, révolution, communisme, anti-identitarisme…) ainsi qu’une stratégie commune pour atteindre ces objectifs.

Cette stratégie est celle d’une conquête sociale communiste autonome, d’une conquête du pouvoir sur nos vies, ce dans de multiples dimensions.

Elle ne se base pas sur la révolte ou l’explosion insurrectionnelle qui, si elles peuvent dans certains cas faire tomber un régime ou la tête d’un État, ne permettent jamais par elles mêmes la transformation profonde de l’édifice social et des rapports de production.

Le but de la stratégie de l’autonomie est la reproductibilité et la multiplication de ses formes et de ses conceptions, le tissage d’un maillage social autonome et le renforcement de ce maillage. Son but est ainsi d’entamer la construction d’une contre-société, de la base, par et pour la base. A ce propos, et au risque de se répéter, il est important de bien préciser pour éviter toute confusion, que lorsque nous parlons de contre-société, nous nous plaçons à l’échelle de la société, dans l’optique d’une autonomisation massive de la base sociale. Nous ne nous référons absolument pas à l’existence ou à la prolifération de milieux marginaux, contestataires et sub-culturels, condamnés eux à rester minoritaires.

Cette contre-société doit tendre à se doter à terme d’une autonomie politique et culturelle, d’une autonomie de capacité de production, en termes de moyens de subsistance à minima mais aussi de mode de relation à soi et aux autres. Enfin, elle se doit de construire une autonomie de défense à même de se protéger efficacement et de pouvoir porter des coups décisifs, et non seulement symboliques, dans les moments où ils seront nécessaires et envisageables. Le terrain de cette conquête n’a pas de frontières, que ce soit dans l’espace géographique ou au sein des multiples dimensions de l’espace social.

Le principe sur lequel s’appuie cette conquête sociale peut se résumer par « implantation sans intégration ». Il s’agit d’une ligne de crête extrêmement fine mais qu’il nous faut absolument tenir, pour à la fois être présents et nous développer socialement tout en restant force de rupture révolutionnaire. Il ne s’agit ni de tomber dans l’« alternative » qui n’est que reproduction du monde marchand et conquête de ses marges par celui-ci, ni de tomber pour autant dans l’activisme d’agitation et la révolte stérile, spectaculaire et inoffensive.

La coordination, si elle veut pouvoir mutualiser les énergies et les ressources, ne se veut pas souveraine sur toutes les activités de ses composantes. Elle n’a pas pour but de faire parvenir une ligne orthodoxe rigide à des groupes politiques qui seraient seulement en charge de l’appliquer, elle entend simplement nous coordonner à la base de manière partisane. Cela suppose que chaque individu garde son autonomie vis à vis de la coordination et que chaque collectif soit autonome des autres, pouvant ainsi porter chacun un projet ou une ambition, un angle d’attaque particulier du monde que nous combattons tout en les reliant dans notre lutte et construction communes. Le dialogue qui se fera entre initiatives rejoignables des composantes de la coordination et projets portés au sein de l’ensemble de la coordination, ne devra donc pas se faire sur le modèle centraliste d’un syndicat unitaire et ses branches ou sur celui d’un parti hiérarchisé et de ses sections.

En interne cette coordination permet l’établissement d’un dialogue politique entre autonomes. Cela suppose donc une capacité à la critique constructive entre ses membres. Cela suppose aussi que des réflexions d’ordres théoriques ou tactiques doivent pouvoir se poser entre les composantes de la coordination de manière égalitaire. Tout le monde peut s’interroger ou discuter de la marche suivie par n’importe laquelle des composantes de la coordination. Toute volonté qui tenterai d’établir un dialogue d’ordre unilatéral (je peux critiquer mais ne pas l’être) ou particulariste (on peut me critiquer mais pas n’importe quelle composante du camp) ne serait être recevable. Bien entendu il ne s’agit pas de tomber dans l’obsession de la critique/auto-critique mais simplement de réfléchir ensemble de manière constructive aux questions qui se posent à nous dans nos pratiques et pour la construction d’un monde qui soit autonome.

A ce titre elle ne fait la promotion d’aucun particularisme identitaire ou autre (par exemple, pour l’organisation de repas collectifs, nous ferons en sorte que le maximum de personnes puissent manger de fait, mais nous ne ferons jamais de prosélytisme pour un régime alimentaire idéologique particulier).

Elle entend coordonner collectifs et individus qui gardent leur autonomie décisionnaire et tactique. Mais, ses diverses composantes doivent être en accord et respecter les principes politiques stratégiques et organisationnels de la plate forme. De même, ses composantes ne doivent pas mettre en place des pratiques ou comportements en contradiction avec les principes portées par la plateforme de la coordination.

La coordination lutte contre la marchandise et les rapports d’échange. Elle vise à remplacer ces rapports par des formes de réciprocité basées sur la gratuité et la transmission à un commun. Par conséquent, nous privilégions la gratuité ou l’entrée libre et la libre participation au « prix libre » pour l’accès à des événements.

A sa mise en place, la coordination comprend déjà un petit nombre de collectifs et d’individus. Elle relie de manière formelle et non purement affinitaire :

– le Collectif Entraide Action ayant pour objet à la fois les actions directes collectives de défense et de pression envers les institutions, employeurs, propriétaires, etc., l’organisation d’une mutuelle de solidarité et d’évènements comme des bouffes collectives et des cafés.

– La bibliothèque des Brûlots, visant à la diffusion de livres et de textes historiques comme théoriques du mouvement révolutionnaire ou de ses ennemis, des mouvements et luttes d’émancipation partielles diverses, de romans variés. Ce collectif vise aussi à l’organisation de discussions dans l’optique d’une transmission mutuelle de savoirs et d’une élévation culturelle collective par et pour la base.

 – le CRAPS collectif autonome de soin social (écoute, entraide et accompagnement sur les questions de réappropriation des questions intimes, psychiques et corporelles).

– l’Amicale de Cyclisme Autonome de Brest : collectif axé sur la réparation et la mécanique vélo non marchande. Ouvert les premiers et troisièmes samedis du mois.

– Le collectif Kiosque autonome : diffusion de brochures, d’autocollants et de livres gratuits.

– des individus s’inscrivant dans cette démarche autonome et partisane sans forcément faire partie d’un ou de plusieurs collectifs.

Les principes organisationnels de la coordination autonome de Brest sont les suivants :

La coordination autonome n’a pas d’existence légale comme en aurait une association, un syndicat ou un parti politique. Elle ne fait pas de liste de membres par écrit comportant des noms propres. Pour tout compte-rendu de réunion, mail ou autre trace écrite, seuls des pseudonymes ou lettres de l’alphabet doivent apparaître.

1 La coordination est ouverte aux collectifs comme aux individus.

2 Les individus comme les membres des collectifs qui la composent doivent avoir accès et ne pas être en désaccord avec sa plate forme, mais peuvent participer aux activités de leur collectif sans pour autant participer aux activités et réunions communes de la coordination.

3 La coordination se base sur l’autonomie décisionnelle des collectifs et-ou individus qui la composent dans le respect des principes, buts, stratégies et fonctionnement communs tels que définis dans cette plate forme.

4 La coordination comme les collectifs qui la composent ne doivent pas avoir de fonctionnement hiérarchique.

5 La coordination fonctionne sans bureaux, sans logiques de permanent mais comme une coordination de base du camp autonome. Elle se veut une coordination de base au sens où elle fonctionne sans représentants ou détenteurs d’un pouvoir privatif (du type permanents syndicaux, élus locaux) et autonome, c’est à dire prenant faite et cause pour un projet ainsi que les pratiques et conceptions qui lui sont liées et sont définies plus haut.

6 Le fonctionnement pratique de la coordination se base sur deux éléments : une liste mail d’organisation interne et des réunions mensuelles. Les décisions concernant ou impliquant la coordination dans son ensemble se prennent en réunion, pas par des moyens affinitaires. Les réunions exceptionnelles (non régulières) de la coordination doivent être appelées formellement par le biais d’une proposition sur la liste mail d’organisation de la coordination.

7 Tous les mandats qui peuvent être nécessaires (informatique, secrétaire de réunion, mandat impératif pour porter une parole collective…) doivent être tournants (temps de rotation à voir) et révocables à tout moment en réunion.

8 Les décisions communes au sein des collectifs comme de la coordination se prennent au consensus mais peuvent pour éviter la paralysie, exceptionnellement être prises par un vote, après discussion approfondie et collective de tous les aspects du problème, si le consensus ne marche pas et bloque la décision en la faisant traîner indéfiniment. Tout les membres qu’une décision importante concerne doivent être tenus au courant de cela et être ainsi dans la capacité de venir ou de donner leur avis ou choix à distance.

9 Une quelconque modification de la plateforme de la coordination ne peut se décider que lors d’une réunion extraordinaire à laquelle tous les membres sont conviés, mis au courant et dans la capacité de s’exprimer à distance ou non et selon les modalités décrites pour la prise de décisions importantes, à savoir privilégier absolument le consensus et ne recourir au vote qu’en dernier recours si la situation est véritablement bloquée malgré le temps passé en discussions.

10 Malgré tout, si jamais une prise de décision ne peut se faire au consensus et qu’un vote est mis en place, la décision se valide au trois quart des votants. Les personnes votantes mises en minorité décident de leur participation ou non à l’objet de la décision mais se doivent de respecter la décision collective.

11 Les collectifs qui composent la coordination peuvent avoir un fonctionnement ouvert, fermé ou semi fermé.

12 Dans le cas ou ils seraient ouverts, les nouveaux membres entrant dans les collectifs doivent être mis au courant que ces derniers font partie de la coordination autonome. L’existence de la présente plate forme doit leur être communiquée et celle-ci rendue accessible. Tout nouveau membre de collectif peut participer aux différentes réunions et activités de la coordination. Il peut ensuite pleinement acquérir pouvoir décisionnaire et accès aux mandats ainsi qu’aux responsabilités diverses dans le cadre de la coordination autonome après discussion et avec le consentement des membres de cette dernière, ceci, bien entendu, sur la base de son accord avec la présente plate forme. Tout ceci vaut également pour le processus d’accueil des personnes souhaitant intégrer la coordination sans participer pour autant à un ou des collectifs la composant.

13 Si des collectifs ou des moment peuvent évidemment parfois regrouper des personnes vivant des choses d’une manière spécifique, et nécessiter des moments entre personnes spécifiques selon les questions soulevées ou bien simplement par la force des choses, la coordination n’accepte aucun collectif ou individu, portant la « non-mixité » comme forme politique institutionnalisée, ou appellation, ou faisant la promotion politique de celle-ci. Ces collectifs, groupes de travail spécifiques, ou moments particuliers ont pour objet le retour au commun, et par conséquent doivent faire prendre connaissance à toutes et tous de leurs recherches, discussions politiques et activités.

14 La coordination autonome n’accepte pas en son sein l’existence de tendances occultes, non ouvertement exprimées. Il ne s’agit pas d’empêcher les discussions collectives entre camarades de différentes tendances en dehors des moments collectifs de la coordination mais bien de lutter contre la mise en place de groupuscules n’assumant pas leurs objectifs politiques dans le but d’une prise de pouvoir partielle ou totale.

15 L’exclusion d’une personne ou d’un collectif si jamais elle doit avoir lieu, et si aucun changement n’est perceptible après l’avoir dit clairement aux intéressés, peut se faire seulement après discussion, par décision au consensus ou si jamais cela ne marche pas, via un vote sur le même modèle que pour les autres décisions importantes. Les motifs recevables d’exclusions peuvent être les suivants : contradiction manifeste avec la plate forme, des actes ou comportements graves ou réellement problématiques, des questions d’incompatibilités de personnalité ou de fonctionnement avec un ou plusieurs membres entraînant des problèmes collectifs insolubles autrement.

16 La coordination a pour but d’avoir une existence et une activité publique, une capacité d’intervention et de visibilité pour agir réellement sur la société. En plus de sa liste mail d’organisation, et à ne surtout pas confondre avec elle, elle dispose d’une liste de diffusion pour ses rendez vous et activités publiques.

Puisque la coordination se veut en lutte contre les logiques affinitaires et consommatrices, il est donc important que les questions de: ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas, qui y est et qui n’y est pas, qui est membre qui est sympathisant, soient claires. Ce qui relève aussi d’une certaine clarté, honnêteté et auto-discipline des personnes qui la rejoignent à propos de la forme, des limites et du caractère de leur participation à la coordination.

Comme dit plus haut, le but de la coordination autonome est d’être reproductible et multipliable. Elle vise à ce que ces expérimentations et essais soient exportables et traductibles, elle vise aussi à être contagieuse comme forme partisane et ouvertement révolutionnaire d’organisation à la base, s’intéressant à tous les aspects de nos vies. Et enfin, elle vise donc aussi à être le plus rejoignable possible et à se coordonner avec d’autres.

Multiplions les collectifs et coordinations autonomes !

Organisons nous!

Tout pouvoir à la base !

Tout pouvoir à la base!