Communautés utopiques et révolution : Révolution et utopie

    Comme dit dans l’article précédent sur les communautés utopiques, les révolutions dites bourgeoises du  XVIIIe siècles ont consacré et produit de nouveaux rapports sociaux à leur époque respective. Dès cette période, et même avant, des luttes politiques et sociales d’ampleur sont des moyens et des moments où se produisent et se réalisent des désirs et des imaginaires politiques plus ou moins émancipateurs.

    Au XIXe siècle, les franges les plus subversives du mouvement ouvrier souhaitaient par ailleurs aller plus loin que les révolutions bourgeoises en prônant comme dit dans l’article précédent, une révolution sociale censée abolir le capitalisme voire l’état et construire ainsi une société égalitaire et libre. Ces mouvements politico-sociaux, malgré des tendances, des valeurs, des stratégies et des tactiques parfois éminemment contradictoires et opposées (pour simplifier les premiers anarchistes vs les premiers communistes par exemple) ont lié la question de la critique sociale, de l’émancipation et de l’imagination d’un autre « état social », en quelque sorte la question de l’utopie donc, à la question de la révolution.

   Cet aspect du mouvement ouvrier radical est d’autant plus marqué qu’il n’est pas que « théorique ». Il est aussi le fruit des luttes de classe du siècle, des luttes souvent dures faites de grèves, d’insurrections, d’expérimentations sociales et politiques nouvelles comme par exemple la Commune de Paris de 1871, etc. De plus, ces luttes et expériences s’alimentent mutuellement et nourrissent les désirs et rêves d’émancipation radicale. En somme, ces luttes commencent à produire leurs propres mythes et références.

   Mais c’est davantage au Xxe siècle que des processus et mouvements révolutionnaires, en partie expression de ces luttes de classe, tentent d’imaginer, de produire et d’expérimenter radicalement et massivement, une autre manière de vivre. Un peu de contexte.

Contexte

   Le Xxe siècle, tout comme le XIXe siècle, est aussi un moment de fort conflits sociaux. C’est le siècle du capitalisme industriel triomphant, des guerres mondiales et impérialistes modernes. Mais, c’est également un moment de grande potentialité subversive, incarnée notamment par le développement et l’implantation d’un mouvement ouvrier puissant à travers le monde et pas seulement en Occident. De même, des luttes massives et des tentatives de révolutions sociales d’ampleur, inspirées en partie des idéaux du mouvement ouvrier , voient le jour entre les deux guerres mondiales : la révolution russe de 1917, la révolution allemande de 1918, les conseils de Turin en 1920, la révolution espagnole de 1936…

   Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les potentialités révolutionnaires sur la vieille Europe et en Occident semblent définitivement éteintes. Il n’en reste pas moins que les luttes anticolonialistes chamboulent le vieil ordre colonial européen jusque dans les années 60-70.

    Ces deux dernières décennies marquent la dernière séquence subversive de masse en Occident. C’est le moment de la contre-culture aux USA, des communautés hippies et/ou anarchisantes. Mais, c’est aussi un moment de renouveau des luttes prolétariennes incarnées par divers mouvements comme Mai 68, le mouvement autonome et les luttes ouvrières italiennes des années 60-70, les différents mouvements de contestation plus ou moins radicaux aux USA etc etc. Un moment où l’idée d’une révolution sociale, et d’une autre manière de vivre, était encore bien vivace dans de nombreuses régions du monde.

    Voici quelques exemples de ce que ces révolutions ou tentatives du Xxe siècle ont pu produire, en terme d’imaginaires, de pratiques utopiques et/ou émancipatrices.

Le constructivisme en URSS

   En Russie, la révolution de 1917 est accompagnée par un mouvement artistique : le constructivisme. Fondé en 1915 ce mouvement va presque devenir l’art officiel de l’URSS, jusqu’à ce qu’au début des années 30 Staline impose une réaction artistique – le réalisme socialiste.

   À société nouvelle, à la fin de l’exploitation, de l’histoire, il fallait bien donner un art qui rompt avec ce qui précède, l’art bourgeois.

   Le constructivisme, en mettant fin au sujet dans l’art, en se tournant vers la forme et la couleur, en questionnant la fonction d’une œuvre,mais aussi en investissant le design, le cinéma, le théâtre et l’architecture, va donner un esprit et un souffler à la transformation sociale en cours.

   La réalisation des propositions les plus folles est sérieusement envisagée : la tour Tatline, monument aux formes géométriques en rotation sur elles-même, les cités volantes de Georgii Krutikov.

   D’autres se réalisent comme le club des travailleurs de Zouïev:

   Les moyens de grandes diffusions, la publicité, le cinéma, sont totalement investis par le constructivisme et diffusent le message d’une société nouvelle et égalitaire. Une exposition présentée au Grand Palais, il y a quelques années, intitulée Rouge, montrait l’étendu de cet utopisme constructiviste après la révolution de 1917. Des bâtiments aux tissus, des meubles aux films toute production humaine était touchée par ce courant artistique.

   La période stalinienne marque la fin de ce fourmillement artistique, non seulement par la mise au pas du monde l’art, mais aussi parce que le souffle utopique de la révolution est peu à peu étouffé sous la répression et les dommages de l’industrialisme soviétique.

   Mais après la mort de Staline, l’ouverture politique voulue par Khroutchev combiné aux réussites de la cosmonautique russe (premier satellite artificiel en 1957, premier homme dans l’espace en 1961), va produire un second souffle utopique basé sur l’imaginaire spatiale.

Hôtel Salyut, Kiev, construction achevée en 1984

   Celui-ci s’appuyant sur les ruines du constructivisme, va de nouveau investir tous les arts et proposer un imaginaire vivifiant autour d’un nouveau monde à explorer et habiter, l’espace. Nous vous conseillons à ce sujet l’excellent vidéo du Vortex – Le brutalisme l’architecture de la dépression dispo sur youtube :

   Si la sois disante utopie bolchévique s’est plutôt révélée dystopique et à contribué à décrédibiliser pour longtemps l’idée même de révolution, l’imaginaire déployé par les artistes qui en ont porté l’idée à certains moments reste aujourd’hui encore quelque chose de riche pour qui cherche à penser un autre monde.

La révolution Espagnole de 1936

    La révolution sociale espagnole de 1936 fut l’une des tentatives de révolution les plus radicales en Europe. Inspirées en partie par les idées communistes libertaires et socialistes, des personnes ont  tenter de  mettre en place de nouveaux rapports sociaux.

    Malgré les luttes sanglantes contre la réaction, les tentatives de mise au pas des processus radicaux (par les staliniens notamment), elles ont alors inventé  et expérimenté pendant un temps, de manière concrète et à une grande échelle, une nouvelle manière de vivre.

   En témoigne ces quelques scans tirés du bouquin Le rêve en Armes : révolution et contre-révolution en Espagne, 1936-1937, l’un des bouquins disponibles à la Bibli sur cette révolution sociale (p.44, 47, 48, 50):

Sources:

+ Julius Van Daal, Le rêve en Armes : révolution et contre-révolution en Espagne, 1936-1937, Nautilus, 2001

+ Le Vortex – Le brutalisme l’architecture de la dépression