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La colère de Ludd, Julius Van Daal

La colère de Ludd: La lutte des classes en Angleterre à l’aube de la révolution industrielle

De 1811 à 1817, en Angleterre, dans le West Riding, le Lancashire, le Leicestershire et le Derbyshire la colère de Ludd s’abat sur les fabriques . Le pays, est alors en proie à de profondes mutations sociales et économiques induites par l’établissement du capitalisme industriel. Dans ce contexte, ouvriers tisserants, fileurs et tondeurs de draps décident de s’organiser contre les patrons et leurs nouvelles machines qui visent à augmenter productivité et profit.

Ces machines « infernales » sont alors perçues par ces ouvriers-artisans comme responsables de leurs nouveaux maux et de l’aggravation des anciens: paupérisation, perte de la maîtrise de son temps, fin de la « belle ouvrage » et in fine d’un mode de vie qu’on perçoit comme plus désirable… Pour répondre à cette situation, ces ouvriers décident de s’attaquer directement à ces nouveaux outils. Encore en partie rassemblés en corporations, ou au moins héritiers de leurs coutumes, parfois organisés en sociétés secrètes, ils et elles organisent des expéditions punitives dans les fabriques converties au machinisme. Lors de ces attaques, les ateliers mécaniques sont méticuleusement démolis. Parfois on s’en prend aussi aux bâtiments, on en éclate les vitres voire on finit par y foutre le feu.

Mais les luddites, comme on les appelle du nom de leur roi-général fictif Ned Ludd, n’oublient pas non plus les possesseurs des machines et leurs défenseurs. Ainsi, fabricants et magistrats qui organisent la répression, sont souvent menacés par les rebelles. Si ils continuent à faire de la vie des dépossédés un enfer, ils seront chatier comme il se doit. Menaces parfois d’ailleurs mises à éxécution au fur et à mesure que la lutte se radicalise. En effet, sous la pression de divers facteurs et événements, les luddites vont passer du simple fracassage de matériel à des pratiques de guérilla: brigandage, extorsions, demandes de rançons et même assassinats. La répression, elle, comme à l’habitude des états qui flippent et perdent pied, est assez dure : on militarise des zones considérées comme des foyers de la rébellion, on utilise des provocateurs… Certaines personnes sont condamnées à des peines assez lourdes comme la prison, la déportation dans les zones les plus reculés de l’Empire britannique ou sont tout bonnement exécutés.

En parallèle du récit de cette lutte, Julius Van Daal s’attache aussi à nous faire un rapide état des lieux des pensées, mouvements et agitateurs plus ou moins « radicaux » dans la Grande-Bretagne de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Ainsi, l’auteur évoque ces bourgeois radicaux qui voulaient en finir avec ce qu’ils nommaient la tyrannie, un temps influencés par la pensée des Lumières et l’expérience de la révolution française, comme John Thelwall ou Thomas Paine(1). Cependant, leurs pensées sont progressivement de moins en moins influentes au sein de la bourgeoisie montante du fait notamment de la guerre contre la France révolutionnaire puis impériale. De plus, les idéaux rationalistes et libéraux (surtout dans le domaine économique), eux aussi issus en partie des Lumières et du développement du capitalisme, sont de plus en plus partagés au sein des classes bourgeoises notamment de la bourgeoisie d’affaires. Malgré cela, le contenu radical, égalitaire et humaniste de ces pensées continuera tout de même d’influer en parallèle et en sous-main dans certains pans des basses-classes de la société britanique.
Puis, au début du XIXe siècle, ce sont certains auteurs romantiques qui prennent le relais de la critique de la domination et du nouveau monde capitaliste en train de s’établir. Des poètes comme Byron ou Shelley(2)  ne cachent pas le dégoût que leur inspire cette société hiérarchisée et le sort des exploités à qui ne profitent nullement les mutations sociales en cours. Certains de leurs écrits ont d’ailleurs inspiré durablement une partie du mouvement ouvrier britanique dans sa critique de la société bourgeoise et marchande.

Toujours est-il que malgré la présence, certes faible, de critiques plus ou moins radicales de la situation sociale en Grande-Bretagne et d’une opposition d’une partie des ouvriers contre le système des fabriques, la lutte des luddites s’éteind progressivement. Par conséquent, aucune révolution n’a lieu dans le royaume. Le bouquin s’attache à montrer les raisons de cet « échec ». Celles-ci sont d’abord à rechercher dans les dynamiques sociales, les dynamiques de classe, induites par le développement capitaliste qui commence tout juste à rentrer dans sa forme dite industrielle. Durant cette période, on est au début de la constitution d’un prolétariat industriel, dont la conscience de sa situation, sa conscience de classe, en est encore à ses balbutiements. Les ouvriers-tisserands, en phase de devenir des ouvriers de l’industrie, sont minoritaires parmis les exploités de cette époque et se perçoivent plus comme des ouvriers-artisans déchus. Dès lors, leurs conditions de dépossession, encore non massivement partagées, font qu’ils peinent à produire une vision plus universelle et cohérente de ce que doit être la lutte pour l’émancipation au regard des conditions d’exploitation nouvelles. Par exemple, leur discours d’émancipation, quand il prend forme et se fait universel, est donc toujours « républicain » et se concentre sur la dénonciation de la pauvreté et non pas sur l’expropriation de la bourgeoisie et la mise en commun des moyens de production. Ces idées, elles, s’élaborent plus tard, au fur et à mesure du développement capitaliste et des mutations sociales qu’il amorce.
De plus, puisque la lutte des luddites et leurs pratiques de plus en plus illégalistes n’ont débouché sur aucune insurrection populaire généralisée, les modalités d’organisation de la conflictualité ouvriers/patrons s’adaptent. Ainsi, dans les futurs trades-unions (un des ancêtres des syndicats modernes), nombre d’anciens luddites s’organiseront pour ce qu’ils estiment être la défense de leur intérêt.

Le bouquin est intéressant et plutôt cool pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il nous plonge dans la situation politico-sociale de la Grande-Bretagne de cette époque. On apprend plein de trucs notamment sur le mode de vie et le fonctionnement d’une partie des corporations ouvrières . Parfois, on sent tout de même que ça fantasme peut-être un peu sur la liberté, la maîtrise de leur temps et de leur vie qu’avaient ces ouvriers avant l’introduction du machinisme à grande échelle. Il n’en reste pas moins que ces « descriptions » permettent de relativiser certains discours bourgeois-progressistes qui présentent le capitalisme essentiellement comme un progrès dans l’histoire de l’humanité, voire même certains discours dits révolutionnaires, marxistes ou autres.

On en vient à l’intérêt principal du bouquin, qui est de mettre en lumière que le développement capitaliste en Angleterre ne s’est pas fait sans douleurs ni contrainte. Ce que l’on nomme principalement  » la Révolution industrielle » n’a pas été qu’une succession de progrès technologiques et scientifiques permettant une augmentation et une rationalisation de la production et par conséquent un progrès. Non, ce que l’on nomme « Révolution industrielle » c’est avant tout une mutation profonde et violente des rapports et des conditions d’exploitation. C’est particulièrement le cas en Grande-Bretagne où les transformations socio-économiques, déjà amorcées depuis plusieurs siècles, ont connu une relative intensification à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle par rapport à d’autres pays. Des transformations qui se sont faites sous l’égide toute puissante de la logique du profit et de la marchandise, par l’exploitation de pans entiers de la population britannique et mondiale.

Enfin, le bouquin prend le parti de présenter les luddites non comme de simples réactionnaires anti-technologie et ce parti pris il fait plaisir. En effet, il est bien simple de caractériser ces ouvriers-artisans et leur lutte comme essentiellement technophobes. De même, il est possible que leur lutte était en partie motivée par une vision nostalgique et fantasmée d’un ancien mode de vie. Il n’en reste pas moins qu’on ne peut décemment pas les qualifier de réactionnaires. D’ailleurs, ce sont les représentants des classes les plus réactionnaires de l’époque, les féodaux propriétaires terriens, qui gouvernaient le royaume lors de l’éclatement luddite. Ce sont eux qui, main dans la main avec la bourgeoisie d’affaire montante, ont sévérement réprimé la rébellion… À l’inverse, qualifier tous les luddites de révolutionnaires, précurseurs du combat contre la « société technologique » et comme combattants de l’émancipation universelle, paraît tout aussi abusif et relève aussi de la mystification idéologique.

Non, dans cette lutte on a davantage affaire à des individus au prise avec des rapports de dépossession dont la mutation s’intensifie. À la violence de ces transformations, perçues avec raison contre leurs intérêts, les luddites répondent alors avec les armes pratiques et politiques qui sont les leurs et avec, il faut bien le dire, une  certaine audace qui ne manque pas d’impressionner.

Notes:

1: Thomas Paine (1737-1809) est un philosophe et révolutionnaire britannique, américain et français. Partisan de la révolution française, il devient notamment député à la convention en 1792. Il a écrit l’ouvrage Rights of Man en 1791 qui défend la révolution française contre les critiques du penseur conservateur Edmund Burke exprimées dans l’ouvrage Réflexions sur la révolution de France publié en 1790. « Publiciste républicain et ami de Paine, Thelwall fut emprisonné de longs mois avec d’autres figures « jacobines » dès la suspension de l’habeas corpus en 1794. Poursuivant le combat pour la liberté, ce républicain fit paraître en 1796 Des droits de la nature qui resteront tout au long du XIXe siècle une référence pour la tendance radicale du mouvement ouvrier. » note tiré du bouquin p.36.

2:  George Gordon Byron (1788-1824) est un poète romantique anglais. Révolté par la société de son temps, il soutient durant sa vie nombre de luttes en Grande-Bretagne et en Europe comme le combat des ludites ou la lutte pour l’indépendance en Grèce. Percy Bysshe Shelley (1792-1822) est aussi un poète romantique britanique. Ami de Byron, souvent plus radical, il partage sa détestation de la société capitaliste naissante. Parmi ses oeuvres contestataires on peut notamment cité La Nécessité de l’athéisme écrit en 1811. Une compilation de ses textes parmi les plus radicaux est publié chez L’insomniaque sous le titre Ecrits de combats. Cet ouvrage est d’ailleurs disponible à la Bibli des brûlots aux rayons Pensées radicales: Les Lumières, Républicanisme radical.

Julius Van Daal, La colère de Ludd : La lutte des classes en Angleterre à l’aube de la révolution industrielle, L’insomniaque, 2012, 288 pages, Dispo au rayon Luttes, Révoltes, Révolutions : Grande-Bretagne

 

 

La volonté de changer, Bell Hooks

La volonté de changer: les hommes, la masculinité et l’amour

Bell Hooks nous propose un essai à la lisière entre plusieurs genres littéraires: théorie politique, sociologie, développement personnel. Principalement axé sur les masculinités.

Le fil conducteur de l’ouvrage est l’inclusion des hommes à la lutte féministe, la critique des identités de genre patriarcales, et la proposition d’une lecture de la question de la masculinité à destination du mouvement féministe.

La démarche s’inscrit dans une critique des courants féministes qui par leur volonté d’émancipation unilatérale de la “classe des femmes” se construit en contre face à une masculinité essentialisée. Elle propose donc un retour sur la construction et l’expérience masculine. En parallèle, elle affirme l’intérêt objectif des hommes à détruire le carcan patriarcal et les rapports qui l’accompagnent, ainsi que la dimension indispensable d’une proposition féministe qui croit dans le changement des hommes et qui puisse s’articuler à une émancipation masculine de la masculinité patriarcale.

Sans pour autant oublier les obstacles bien réels qui se dressent sur la voie d’une telle articulation, Bell Hooks s’attache à faire ressortir l’intérêt commun à toutes et tous d’annihiler les rapports patriarcaux.

Elle s’attarde notamment sur la dimension fondamentalement aliénée de la masculinité patriarcale et sur le grand travail de mutilation émotionnelle qui la rend possible. En somme, toute la victimisation et la répression nécessaires à la création des bourreaux en puissance que sont les hommes patriarcaux.

Selon Bell Hooks les hommes croient avoir tout à gagner dans la masculinité patriarcale alors qu’en y adhérant ils ne peuvent qu’approfondir la misère et l’aliénation qu’on leur a imposé dès le plus jeune âge pour perpétuer le cadre patriarcal. C’est aussi face à ce constat qu’elle souhaite critiquer le postulat féministe qui considérerait que les hommes patriarcaux jouissent d’une forme de vie fondamentalement privilégiée et toute puissante. Un postulat qui reproduirait de ce fait le mirage patriarcal, simplement à partir d’un positionnement moral différent, et qui échouerait à proposer un contre-discours réellement dangereux pour le patriarcat.

Bell Hooks expose dans une lumière crue la misère masculine en société patriarcale.

Plus largement, elle développe une analyse assez fine et intéressante des rôles de genres patriarcaux aussi bien masculins que féminins sous le capitalisme.

On pourra regretter une écriture généralisante qui tend à décontextualiser son propos et oblige à une forme de rapport critique face à certaines parties du livre d’ambitions sociologiques. Rien, ou peu, dans l’écriture ne nous rappelle que l’on est en 2003 aux Etats-Unis et l’on est parfois embêté à distinguer la sociologie sourcée de l’intuition intellectuelle personnelle.

La volonté de changer est un livre dirigé principalement vers les hommes qui souhaitent remettre en question les rapports de domination entre les genres et qui ne se satisfont pas d’un rôle masculin qui serait naturellement coupé de ses propres émotions, violent et dominateur. Un appel aux hommes à cesser de s’identifier à la masculinité patriarcale, et plutôt à la voir pour ce qu’elle est, leur pire ennemi.

Bell hooks, La volonté de changer: les hommes, la masculinité et l’amour, éditions Divergences, 2021, 240 pages, Dispo au rayon Pensées radicales-Critiques sociales: Féminisme-Critique Patriarcat

Le nom du monde est forêt, Ursula Le Guin

Athshe est un monde fôret. La Terre, elle, n’est plus qu’une mégalopole géante. Elle veut s’approprier les ressources d’Athshe pour son propre profit et la perpétuation de son mode de vie. Seulement sur Athshe, il y a d’autres êtres, qui plus est humains, des êtres qui rêvent et qui vivent plutôt en harmonie avec leur environnement. Réduits à l’état de bêtes de somme par des colons avides, ils apprennent alors pour la première fois l’exploitation, le conflit d’intérêt et la violence. (Oui c’est un peu Avatar).

Dans ce bouquin assez court et cool à lire Ursula Le guin nous montre à travers des personnages variés comme un colon-fasciste terrien, un scientifique chargé d’étudier les athshéens et torturé par le sort de ses sujets d’étude, un indigène traumatisé et en guerre totale contre ses ennemis, comment les relations entre les humains c’est compliqué, à fortiori les relations qui comptent…

Le pitch est assez clair, dans ce bouquin, Ursula Le Guin souhaite nous parler de colonialisme, d’écologie et de guérilla à travers le prisme de la Science fiction. Cependant, le livre pose aussi d’autres questions qu’y intéresse tout partisan de « l’utopie » et de la révolution . Comment fonctionne une société qui n’a pas la notion du conflit ? Qu’est ce qui motive la lutte et la violence ? Comment cette violence et cette lutte impactent la société ? Comment impactent-elles un être humain ? Certes le bouquin propose des pistes mais invite surtout à la réflexion. Des questions loin d’être anodines car dans notre société basée sur l’exploitation, productrice d’une violence sordide, à la fois sourde et débridée, tant physique que psychologique, se pose la nécessité de la lutte. Et donc la question de la violence, de la guerre et de leurs conséquences…

Ursula Le Guin, Le nom du Monde est forêt, éditions Pocket, 1984, première parution en 1972, 163 pages, Dispo au rayon Littérature : Science-Fiction

Autres bouquins d’Ursula Le Guin dispos :

La main gauche de la nuit  au rayon Littérature : Science-fiction, se déroulant dans le même univers que Le nom du Monde est forêt et qui est un bouquin plutôt stylé lui aussi.

L’autre côté du rêve au rayon Littérature : Fantastique-Fantasy

 

Le communalisme, Kenneth Rexroth

Le communalisme : Les communautés affinitaires et dissidentes, des origines jusqu’au XXe siècle

Lorsqu’on s’intéresse un tant soi peu au monde actuel et à son histoire, on contaste que la plupart des sociétés humaines se basent sur des principes autoritaires et des systèmes de classes, de castes ou d’ordres hiérarchisés. Il en résulte alors, tout au long de l’histoire humaine, beaucoup de souffrance et d’exploitation.
Cependant, il s’est toujours trouver des individus qui, rebutés par cet état de fait, ont voulu tendre à une société qu’ils et elles considéraient comme plus « juste » et « égalitaire », voire totalement émancipée, que ce soit par la voie révolutionnaire ou par l’établissement « d’en dehors », c’est-à-dire de communautés « d’égaux ».

Dans ce bouquin assez fourni, Kenneth Rexroth présente nombre de ces communautés à travers les âges. S’intéressant à l’idée communautaire, il nous décrit de nombreuses sectes religieuses comme les Frères du Libre Esprit [1] ou les anabaptises et huttérites [2], avides de partage et parfois d’apocalypses rédemptrices. De plus, l’auteur décrit aussi les projets communautaires plus laïques, notamment celles des socialistes dits utopiques comme Owen, Fourrier ou encore Cabet [3].. Ainsi, à travers ce travail, on a l’occassion d’en apprendre plus sur les différentes visions du monde, principes, modes de vie et histoires de ces communautés tentant chacune d’établir leur « communisme ». Non content de s’arrêter à de simples descriptions et récits, Rexroth met aussi en lumière certains invariants à ces différents projets communaitaires. Par exemple, il souligne le rôle essentiel de la religion et/ou de l’idéologie ainsi que des rites pour la cohésion de ces différents projets communautaires et cela qu’ils soient laïques ou religieux.

Malgré l’intérêt que suscite ce taf, on y décerne tout de même certaines limites. Premièrement, et cela est précisé par les éditeurs, les sources dont disposaient Rexroth étaient assez limitées, il faut donc prendre les éléments relatés et les conclusions tirées avec certaines pincettes.
Une autre limite pour nous est le point de vue de l’auteur sur ce qu’il nomme le communisme. À la lecture du bouquin, on devine que pour lui le communisme est un mode de production et de consommation, un modèle de société, quasi transhistorique. En effet, Rexroth, désigne souvent la manière dont vivent et s’organisent ces différentes communautés par le terme de communisme, et cela bien qu’elles aient des idéologies, des principes et aient pris vie dans des réalités historiques ma foi fort différentes. Si nous sommes d’accord avec lui qu’une certaine idée, une certaine volonté de solidarité et de mise en commun, relient ces différentes expériences, nous ne sommes pas d’accord pour faire du « communisme » un modèle de société aussi facilement transposable. Tout d’abord, le communisme, c’est une idée et un concept qui, bien qu’il puise dans une culture et des expériences historiques lui préexistant, est né à la charnière du XVIIIe et XIXe siècle avec l’établissement définitif du capitalisme comme mode de production dominant. En somme, il paraît plus pertinent pour l’analyse d’historiciser davantage le concept de communisme, plutôt que de l’appliquer à des expériences historiques dont les protagonistes ne peuvent pas envisager ni sa conception ni sa pratique.

De plus, le communisme, en tant que mouvement politque et social qui vise à l’abolition des hiérarchies, du travail, de la propriété privée et à l’émancipation des êtres humains par la réappropriation et la transformation collective des moyens de production, doit s’appliquer à une société et même au monde entier. En d’autres termes, il se doit d’être un système hégémonique. Son application ne peut pas se cantonner à des communautés vivant à la marge ou au sein de sociétés hégémoniques qui fonctionnent sur des principes contraires. Si il en est ainsi, et l’histoire de ces communautés et des différents mouvements révolutionnaires radicaux le montrent, un projet de mise en commun radical n’est soi pas viable soit se fait écraser… D’ailleurs, Rexroth lui même pointe parfois cette limite assez clairement. Notamment lorsqu’il s’intéresse à l’histoire des Qarmates puis des Assassins [4], de différentes communautés de bandits et à ce qu’on pourrait nommer le communisme de pillage. Pour lui, le mode de vie et l’existence de ces communautés et sociétés, partiellement ou majoritairement basées, sur la rapine n’étaient et ne sont possibles qu’à l’interstice soit entre les classes d’une société « développée », soit aux marches entre des états ou à leurs frontières. Nous ne pouvons, dans ce cas, que partager son point de vue.

Toujours est-il que, malgré ces limites, les différentes expériences relatées par cet ouvrage, que ce soit par leur conduite, leur échec ou leurs idées, peuvent être utiles, instructives et inspirantes, pour d’éventuels projets révolutionnaires actuels et futurs. Et, loin de l’histoire officielle, parfois progressiste au mauvais sens du terme, ils nous montrent bien que, l’idée d’une vie dont a davantage la maîtrise a de tout temps était plus désirable pour nombre de personnes que la vie pourrie que différents pouvoirs nous vendent et/ou nous imposent depuis belle lurette…

Kenneth Rexroth, Le communalisme : Les communautés affinitaires et dissidentes, des origines jusqu’au Xxe siècle, L’insomniaque, 2019, première parution 1974, 320 pages. Dispo au rayon Luttes, révoltes, révolutions