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Face au fascisme. Sortir de l’impasse démocrate.

Un retour sur la situation actuelle et une reflexion stratégique sur l’électoralisme de gauche par la Coordination Autonome de Brest (écrit et publié en juin 2024).

Suite à la défaite électorale du clan présidentiel aux européennes, Macron a décider de dissoudre l’assemblée nationale et d’imposer de nouvelles élections. Dans cette situation trois blocs se font concurrence pour nous diriger.

LES LIBÉRAUX :

Macron, sa clique et ses alliés. Chaque jour, ils nous prouvent par leur politique qu’ils ne souhaitent que notre exploitation : Allongement de l’âge de départ à la retraite, réforme de l’assurance chômage, réforme du RSA, stagnation volontaire des salaires etc… La liste est longue et ne cesse de grossir…
Pour assurer le bon déroulé de ces politiques qui nous appauvrissent tous, les libéraux tentent sans cesse de nous diviser entre exploités. Ils stigmatisent systématiquement de prétendus « assistés » qui vivraient aux crochets de bons travailleurs. Cette stigmatisation est censé servir de reconnaissance sociale aux travailleurs « méritants ». Mais qu’on ne s’y trompe pas, ils ne se soucient pas des bienfaits que notre travail nous apporte, ou apporte à la société (bienfaits par ailleurs difficiles à déceler dans de nombreux emplois).
Ce dont ils se soucient c’est de faire tourner l’immense machine à profit bâtie sur notre dos, qui les nourri eux et leurs amis bourgeois. Quand ils nous opposent à d’autres exploités ou qu’ils nous bassinent de « valeur travail », c’est bien pour que nous allions au turbin à n’importe quel prix, sans broncher.
Ce qu’ils veulent, c’est que, lorsque nos conditions de vies se détériorent, nous nous opposions entre nous, plutôt que contre nos exploiteurs . Cette manière de penser, parfois partagée par de nombreux travailleurs, c’est celle des patrons qui vivent sur notre dos et décident de notre sort, elle ne sera jamais dans notre intérêt.

Cette politique en faveur des capitalistes, se double d’une pratique de plus en plus autoritaire du pouvoir. On le voit avec la répression très dure des mouvements sociaux comme lors des Gilets jaunes où l’on ne compte plus le nombre de blessés et de procès. Ce gouvernement a bien confirmé une militarisation du maintien de l’ordre déjà enclenchée par les gouvernements précédents ; de droite comme de gauche.
En parallèle, les libéraux reprennent à leur compte les mythes nationaux et nationalistes, les fantasmes guerriers, les discours visant à embrigader et criminaliser la jeunesse, les fantasmes racistes sur les immigrés, les musulmans (ou supposés comme tels). Macron a même tenté de réhabiliter Pétain ! Tout est bon pour redorer le blason des idées patriotiques, surtout quand la guerre réapparaît en Europe et que la population s’agite trop contre ses maîtres .

LES NATIONALISTES :

Le Rassemblement National et compagnie. Tout en incarnant en réalité la même politique capitaliste que Macron, ils prétendent défendre les intérêts des plus précaires. Mais loin de questionner la marche de l’économie et le pouvoir des capitalistes sur nos vies, ils prétendent nous faire gagner quelques miettes en les prenant aux exploités immigrés et descendants d’immigrés.

Pour eux, si le travail est rare et mal payé, c’est que les immigrés le volent aux français « de souche ». Rien à voir avec les grands patrons, financiers et gouvernements qui réorganisent sans cesse la production pour assurer la continuité des profits.
Difficile de trouver un logement abordable, ou un logement tout court ? Rien à voir avec la spéculation immobilière et les propriétaires qui maximisent leurs profits sur notre dos. Cela doit plutôt être la faute des immigrés qui vous volent le peu de logements sociaux disponibles.

Au fond pour le RN, tout problème trouve son origine chez « l’étranger » ou dans la perte des valeurs et traditions « françaises ». Il faut d’une part revenir à la famille traditionnelle, à l’amour et au respect de l’autorité, de l’état et de la patrie. Et d’autre part organiser la mise au ban de toute une part de la population sous prétexte de ses origines ou de sa religion supposée. 
 
Ce camp nationaliste ne remet jamais en question le fonctionnement de cette société justement basé sur le fait que certains et certaines doivent trimer au profit d’autres. En somme, tout comme Macron, Le Pen et Bardella veulent nous exploiter au profit des possédants. Ils veulent que l’on se bouffe entre nous selon nos origines réelles ou supposées, ils veulent détourner notre regard des vrais problèmes et des vrais responsables de nos vies misérables.

Rappelons ceci : Même si nos conditions sont parfois diverses, nos cultures et nos langues parfois différentes, nous, qui ne possédons rien en ce monde à part au mieux une baraque à crédit ou un taf plus ou moins supportable, nous avons plus de choses en commun qu’avec ces politiciens bien français.

Leurs valeurs, ils les ont construit contre nous, pour qu’on se tienne tranquille à l’école, au travail, dans la famille, qu’on soumette nos propres désirs au profit des leurs… Il n’y a qu’à voir comment ils s’empressent de rassurer les patrons en confirmant les mesures de Macron sur les retraites ou autre… Avec les nationalistes, nous continuerons à nous faire exploiter au travail, fliquer et matraquer quand on osera relever la tête, tandis que certains d’entre nous seront les cibles privilégiées de leur idéologie réactionnaire…

LA GAUCHE :

Sous l’étiquette Nouveau Front Populaire, tous les vieux partis de la sociale-democratie (PCF, PS et écolos) se rassemblent, à leur plus grand dépit, derrière la France Insoumise érigée en exemple de radicalité. Cette nouvelle gauche appelle à l’unité derrière elle pour faire barrage au Rassemblement National. En parallèle, ils nous promettent une exploitation plus douce, des patrons moins riches, une retraite plus longue et d’amorcer le règlement de la question écologique.

En somme, la gauche souhaite apparaître encore une fois comme la seule alternative au nationalisme et comme la seule à même d’améliorer nos conditions de vie. Une petite piqûre de rappel s’impose à eux comme à nous.

On peut rappeler que dès les années 80 le PS de Mitterrand a orchestré la visibilité médiatique de l’extrême droite par stratégie politicienne dans le but de conserver le pouvoir après avoir trahi ses promesses électorale. De même, les politiques menées par les socialistes et leurs alliés depuis les années 80 n’ont fait qu’accentuer notre exploitation, elles n’ont à aucun moment permis d’espérer autre chose que la perpétuation du capitalisme et son cortège de misère, de guerre, d’aliénation. Il suffit de regarder leur bilan politique jusqu’à nos jours, en France comme à l’international, pour le constater. En Grèce, exemple marquant, le parti de gauche « radicale » Syriza qui avait fait campagne contre l’austérité a vite appliqué des mesures d’austérité une fois au pouvoir en 2015. Tant de Grecs avaient placés leurs espoirs dans ce projet « de rupture » ; leurs espoirs leur ont été volés. Depuis, le mouvement social grec n’a jamais retrouvé sa vigueur d’avant Syriza.
La gauche n’a donc pas « changé la vie », elle a, comme tous les autres, agi pour l’enlaidir…

Il y a deux raisons à l’échec de ces promesses. D’une part, une large partie des appareils politiques de gauche sont composés de politiciens qui ne souhaitent à aucun moment modifier l’ordre actuel des choses et remettre en question l’exploitation.
D’autres part, quand bien même certains le souhaiteraient sincèrement, cela leur est impossible.

Puisque leur stratégie consiste à centrer la politique sur les élections, les politiciens sociaux démocrates cherchent systématiquement à détourner l’énergie des luttes pour les intégrer dans les institutions afin de prendre la main sur l’état. Seulement, une fois en place, ils sont de mille manières empêchés et cooptés par le fonctionnement de l’état et de l’économie capitaliste (désinvestissement massif, institutions économiques internationales, obstruction parlementaire, menace de coups d’états, etc..) Ainsi, les grands changements promis deviennent vite quelques aménagements cosmétiques sur une réalité quotidienne inchangée voire dégradée.

Le processus est simple et se répète systématiquement, une fois qu’ils ont vidé de leurs ambitions propres les luttes de classes à la base, les invitant à placer leurs espoirs dans la gauche et l’état, ils sont mécaniquement amenés à bafouer leurs promesses et participent à alimenter le désespoir de celles et ceux qui aspirent à une amélioration de leurs conditions de vie…

C’est sûrement là leur contribution la plus grande à la situation pré-fasciste actuelle, quoi qu’ils en disent.

 AUX URNES ?

Comment faire face à cette situation ? Le pari politicien de cette annonce soudaine de dissolution nous précipite dans un sentiment d’urgence, où la panique gagne beaucoup d’amis ou de voisins.

Même si beaucoup restent critique à l’égard de ce « nouveau front populaire », avec le couteau du rassemblement national sous la gorge, il apparaît « secourable » de pouvoir s’accrocher au mince espoir apporté par l’union de la gauche. Notamment quand celle-ci reprend dans son programme le retrait de nombre de mesures contre lesquelles nous avons lutté ces dernières années (réformes retraite, chômage, loi asile immigration…)

Encore une fois, les responsables du désastre actuel nous imposent leur chantage électoral. Et puisque nous sommes impuissants face à cette situation nous devrions nous empresser d’aller voter pour le camp du moins pire. Mais c’est bien dans les élections qu’il faudrait chercher la raison de notre impuissance.

Voilà des générations qu’on nous explique que toute tentative de libération et de changement de la vie doit à un moment passer à travers les urnes, à travers la loi et l’état. Des générations qu’on nous dit d’attendre notre salut d’un gouvernement de telle ou telle couleur, seul à même de graver dans le marbre de la loi les changements que nous voudrions construire. Tant que nous serons esclave de ce mensonge il n’arrivera rien de bien.

Ce que nous avons parfois arrachés aux maîtres du monde, nous ne l’avons pas arraché par les urnes mais par des luttes collectives et déterminées. Celles et ceux qui nous ont précédés n’ont eu des journées de travail moins harassantes, construit des structures de solidarité collective, que parce qu’ils et elles ont su bâtir sur le long terme un rapport de force trop difficile à tenir pour les capitalistes. 
Il nous faut comprendre une bonne fois pour toute que l’élection et la lutte collective à la base ne sont pas deux modalités complémentaires du combat pour l’émancipation, mais bien deux stratégies parfaitement contradictoires sur le long terme.

En effet, si jouer sur tous les tableaux pour impulser des changements dans nos vies apparaît spontanément comme une bonne idée, le terrain institutionnel et parlementaire fini systématiquement par supplanter le terrain des luttes à la base, sapant par là même ce qui faisait sa force.
Le parlementarisme de gauche, comme tout parlementarisme tend à centraliser la question politique au sein de l’état et de ses institutions au détriment des institutions que le mouvement social se donne à lui même. L’objectif constant de ces mouvements est de faire reconnaître par l’état, érigé en arbitre neutre du conflit capital/travail, les droits des exploités. On privilégiera par exemple la mutualisation de moyens au travers de l’état et de l’impôt plutôt que par la base, on privilégiera la judiciarisation des conflits du travail plutôt que la lutte collective comme facteur déterminant des conflits du travail.

Peu à peu, mécaniquement, la priorité passe des luttes réelles aux luttes institutionnelles. On perd la conscience du rapport de force qui a été nécessaire à l’obtention de certains avantages. De même, on tombe dans une culture de la négociation, où le plus grand danger est de ne plus être reconnu comme interlocuteur par l’état et les capitalistes. Mieux vaut tenir ses troupes et rester à la table des négociations que de laisser une grève déborder et prendre le risque de perdre sa place à cette même table. Les partis et syndicats qui pensaient être les outils des exploités dans leur lutte pour l’émancipation, ont vite fait de se transformer en leurs geôliers.

Le résultat incontournable de l’institutionnalisation des luttes et de l’élection comme sa forme paroxystique, est de « désarmer » et de « dé-aguerrir » les exploités.

Nous ne pouvons pas nous attarder plus sur ce point ici. Mais si notre démonstration peu paraître simpliste et cruelle, nous vous invitons à regarder la séquence des retraites 2023 qui est un bon exemple de la profonde perte de capacité d’action à la fois des syndicats et des exploités en France. 
Macron a bien compris que les syndicats en France ne sont plus vraiment capables de faire autre chose que de râler à la table des négociations et d’organiser des manifestations symboliques qui n’ont pas d’impact réel sur la machine à profit. Ils ont participé à faire de leur base sociale historique un groupe atomisé, corporatiste et attentiste.
Si les manifestations syndicales étaient écoutées par le passé c’est parce qu’elles résonnaient comme un avertissement que les choses pouvaient aller plus loin. Que la situation pourrait devenir ingérable pour les capitalistes et l’état, voir les mettre en danger. Le syndicat était d’ailleurs aussi un bon tampon entre les mécontents et les possédants pour que tout ça n’aille pas trop loin, alors l’état et les patrons donnaient le change en partageant un peu plus le gâteau.
Aujourd’hui tout le monde sait que cela n’ira pas plus loin. Pourquoi s’en soucier alors ?

On a beaucoup critiqué à gauche la gestion autoritaire de cette séquence politique par le camp Macron, mais cette critique est vaine.
La leçon a retenir c’est que la démocratie n’engage que les gauchistes qui y croient. Pour les capitalistes c’est une manière comme une autre de faire tourner la machine.
Cette séquence fut le spectacle d’un peuple « désarmé » par des décennies de délégation et d’illusion démocratique face à un état qui lui ne se fait aucune illusion sur son rôle et sur ses objectifs.

REPRENDRE L’INITIATIVE :

Pour en revenir à la séquence actuelle, il doit être clair d’une part que l’on ne doit rien attendre de ces élections, mais surtout qu’une critique sans concession de la démocratie et de ses illusions s’imposent à nous si nous voulons reprendre la main collectivement sur nos existences.

Pour agir en dehors du cadre électoral , des assemblées antifascistes sont apparues ces dernières semaines. Nous sommes contents de voir des assemblées ouvertes se créer un peu partout en France. C’est bien ce modèle que nous voulons défendre, bien loin des négociations entre appareils politiques. Bien loin des querelles politicardes, il s’agit de reprendre la question de la vie politique collectivement, mettre les problèmes sur la place publique, essayer de reprendre différents aspects de nos vies en main, pour combattre l’exploitation.
Pour autant, nous comprenons que ce choix ne représente qu’un infime espoir. Depuis des années, ces espaces ne sont que trop minoritaires et peinent à durer dans le temps, hors des mouvements sociaux. Et souvent il n’existe qu’une assemblée de ce type à l’échelle d’une ville, encore plus rarement à la campagne ; quand nous souhaiterions qu’elles existent à l’échelle du quartier, de l’entreprise, de l’école, du centre hospitalier ou du rond-point voisin.

Nous pensons donc également que pour gagner en force il ne faut pas attendre les mouvements sociaux pour s’organiser et que les assemblées ne grandirons pas uniquement du fait de leur activisme occasionnel. Il est important de réfléchir et de constituer des organisations pérennes (par exemple des groupes d’entraide et de solidarité, d’action, de réflexion etc…) qui permettent de diffuser des perspectives et idées d’émancipation sans attendre de mouvements sociaux plus intenses déclenchés par les agendas législatifs.
Qui permettent de construire partout des solidarité à la base, entre exploités dans tous les aspects de la vie.
Qui permettent de montrer l’illusion misérable que sont le chacun pour soi ou le « les miens d’abord ».

La gauche unie nous ressort le « front populaire », mais en omettant de parler de ce qui constituait la force de ce moment : les grèves avec occupations du lieu de travail où s’exerçait une solidarité en acte contre l’exploitation. A l’époque la base n’était pas dupe et savait que les politiciens, même « de son propre camp », devaient être forcés par la lutte collective à agir conformément aux intérêts des dépossédés. Le gouvernement front populaire n’aurait pas fait la moitié de ce qu’il a fait sans y être forcé par la lutte collective de millions de prolétaires. 

Certes, les choses ont bien évoluées, quasi un siècle plus tard, et on doit repenser des formes de luttes qui puissent se déployer massivement dans le monde contemporain. Le répertoire d’action politique du mouvement ouvrier a été mis à mal par les adaptations du capitalisme et par des décennies de compromission entre la gauche et l’état capitaliste notamment. Difficile d’imaginer lancer une grande grève générale dans l’état actuel des choses. Difficile de ne pas questionner la logique de « l’acquis social » qui n’aura pas su nous permettre d’en finir avec le pouvoir du capitalisme sur nos vie.
Pour gagner il nous faudra prendre acte de cette nouvelle réalité et des impasses stratégiques actuelles. Il faudra porter un regard sans concession sur ce qui nous a mené là, sur les illusions démocratiques et étatistes, sur le rôle de la gauche et du mouvement révolutionnaire lui même dans cet état de fait etc…

ALORS CRÉONS CES ESPACES DE POUVOIR Á LA BASE !

RENFORÇONS DES FORMES DE SOLIDARITÉ CONCRÈTE,
DONNONS NOUS NOS MOYENS PROPRES DEFENDRE NOS INTÉRÊTS.
QUE L’EXTRÊME DROITE GAGNE OU PAS CES ÉLECTIONS, NOUS DEVONS RETROUVER LE POUVOIR DE CHANGER LES CHOSES PAR NOUSME.

VIVE LES ASSEMBLÉES Á LA BASE !
VIVE LES GROUPES AUTONOMES !
VIVE L’AUTONOMIE !

C-Utopies vs Dystopies

Origine de la dystopie

    La dystopie (le mauvais lieu) est un genre de récit imaginaire qui décrit des mondes de domination plus ou moins cauchemardesques et déshumanisants : environnement invivable, sociétés très inégalitaires, surexploitation des êtres et des ressources, contrôle et pouvoir totalitaire etc etc.

    Ce type de récit s’est surtout développée à partir du Xxe siècle, siècle des horreurs si il en est… En effet, cette période est celle du capitalisme industriel triomphant et de l’impérialisme, mettant sous sa coupe un nombre toujours plus croissant de prolétaires, massivement exploités et déshumanisés. Mais, c’est aussi le siècle des boucheries avec notamment les deux guerres mondiales qui actent « l’industrialisation » des conflits armés.

    De même, c’est le temps d’un renforcement du pouvoir des états, de la propagande de masse et des régimes dits totalitaires comme l’Italie fasciste, l’Allemagne nazie et l’URSS bolchévique puis stalinienne. Enfin, c’est aussi un siècle d’espoirs déçus que ce soit par l’écrasement, la « dégénérescence » et la trahison des tentatives de révolution prolétariennes comme en Allemagne en 1918, en Espagne en 1936, ou en Russie en 1917.

   C’est dans ce contexte de désillusion et de « crainte » qu’apparaissent les premières dystopies comme Nous écrit en 1920 par l’écrivain russe Evgueni Zamiatine, ou encore les classiques Le meilleur des Mondes de Huxley (1931), 1984 de Orwell (1949), Farenheit 451 publié par Ray Badbury en 1953. Ces premières dystopies, imaginent toutes des états fictifs et coercitifs très développées, qui écrasent l’individu au profit d’idéologie et sociétés autoritaires, à l’aide de diverses techniques de contrôle de masse perfectionnées. Elles sont assez souvent pessimistes, les héros ayant beau lutter, se font souvent écraser par le système contre lequel ils se révoltent.

    Ces œuvres étaient la fois des critiques des systèmes totalitaires existants et des techniques de gouvernement mise en place par divers états. Mais, elles étaient aussi des avertissements quant à leur potentiel développement. Dès lors, le lecteur ainsi averti, pouvait prendre conscience de la violence que produisent ce genre de système. Cela pouvait aussi pousser les gens à agir pour que ces systèmes n’existent pas ou plus voire soit contrecarrés par l’établissement de sociétés plus enviables. Par exemple, Orwell, bien qu’opposé au stalinisme, était socialiste et croyait donc à la possibilité d’une société meilleure.

Forces et faiblesses de la dystopie?

    Le genre dystopique est devenu très florissant au Xxe puis au XXIe siècles notamment dans la science-fiction. Il a développé ses anciens thèmes et s’est enrichi de sujets propres à nos sociétés actuelles comme les nouvelles technologies ou la crise écologique. Désormais, la dystopie représente une grande part des contenus culturels censés porter un regard critique sur nos sociétés et leur potentiel devenir. On ne compte plus le nombre d’œuvres qui nous présentent des mondes horribles et aliénants que ce soit dans les livres, le cinoche, les jeux-vidéos, la BD, les séries…

    Or, doit-on se réjouir de cette « surabondance » du genre ? À première vue oui puisqu’elle dénote d’un intérêt pour les questions sociales et politiques. De même, cette production culturelle, plutôt populaire et abondante, sert potentiellement la critique voire la remise en cause du monde actuel. En effet, elle dépeint toujours des sociétés horribles et par ce bais, critique le notre ou son avenir. De plus, les dystopies actuelles décrivent à l’occasion des personnages aux prises avec le système qui les opprime, et mettent alors en scène la nécessité voire le bénéfice de la lutte.

    Malgré cela, il nous apparaît que la dystopie a aussi des limites et qu’à travers elles, il s’agit de s’interroger sur ce que ce genre dit de notre manière de voire le monde. Et ainsi, de questionner son potentiel critique et subversif.

    Premièrement, comme le dit Carabédian, nous vivons déjà dans un monde que l’on peut qualifier parfois de dystopique à l’heure d’un capitalisme toujours plus avide, du désastre écologique, d’une vivacité des valeurs autoritaires, patriarcales et réactionnaires. De même, nous connaissons une atomisation sans précédent de la population, entretenue en partie par les nouvelles technologies de communication. Enfin on assiste à l’émergence et l’application massive de nouvelles technologies de contrôle et de surveillance dont n’aurait pu que rêvé nombre de fascistes et staliniens (ex: la généralisation de la vidéo-surveillance, la reconnaissance faciale etc etc)… Dans ce contexte social, imaginer et faire réfléchir au « pire » perd forcément en valeur d’avertissement et de réflexion puisque le « pire » est alors omniprésent1.

    Deuxièmement, et sur ce point on est encore assez d’accord avec Carabédian, on peut également remettre en question l’aspect « normatif » de ces dystopies qui tendent à peupler nos imaginaires d’horizons essentiellement négatifs2. En effet, ces imaginaires faits de futurs sombres n’envisagent pas ou peu la question d’un dépassement. Dès lors, les dystopies, fruits et reflets de nos angoisses, peuvent participer à entretenir la résignation et le défaitisme face à la marche des événements, au lieu d’alimenter les sentiments de révolte et les volontés d’une vie digne d’être vécue.

Les forces de l’utopie

    Au contraire, l’utopie, notamment dans la fiction, loin de n’être qu’un refuge pour personne terrifié et blasé, peut aider à combattre la résignation ambiante. Comme dans ses premiers temps, elle est une critique forte contre nos rapports sociaux car elle leur oppose des rapports sociaux basés sur des valeurs différentes. Ainsi, elle nourrit nos imaginaires de possibilités et potentialités différentes. De même, par le développement d’imaginaires différents, elle peut alimenter la colère et la haine contre la société actuelle, l’envie de se révolter et de s’organiser pour la transformer.

   Reste que, si on considère qu’il y a un intérêt certain à la production d’oeuvres et d’imaginaires utopiques pour la constitution d’un camp communiste anti-autoritaire, il ne faut pas oublier l’organisation et la lutte.

   Penser un autre monde, que ce soit par la fiction ou un « programme » politique sont bénéfiques à la mobilisation et l’organisation. Mais nos luttes et notre organisation doivent aussi produire et « incarnées » ces imaginaires, ces valeurs ces idées. Celles-ci doivent être à la fois les bases et les reflets de la nouvelle société que nous voulons construire contre l’état, le capitalisme et tout ce qui grignote une miette de notre pouvoir en tant qu’individu et être humain.

    En somme, il est toujours nécessaire de lier la question de la production culturelle, et de valeurs éthiques, à la question de la pratique politique et sociale.

Utopie=Dystopie ?

    À noter aussi que certains voient la dystopie comme la conséquence de l’utopie, en tant que désir/projet d’un monde meilleur. En effet, certaines critiques, notamment la critique « libérale », voit dans l’utopie une potentialité de système totalitaire niant les contradictions, les conflits et les individualités humaines par l’établissement d’un pouvoir autoritaire qui ne peut supporter sa remise en cause.

Cette critique s’appuie notamment sur le fait que nombre d’œuvres utopiques littéraires/philosophiques, dans leur projet de cités idéales, nient souvent l’individu au profit d’une collectivité normative, totalisante et d’une société harmonieuse.3 De plus, les grands totalitarismes du Xxe siècle, notamment soviétique ou maoïste, seraient les réalisateurs et les preuves de cet aspect forcément totalitaire de l’utopie qui, une fois réalisée, deviendrait donc forcément dystopie.

   On peut partager quelques aspects de cette critique. Nous sommes d’accord pour dire que la volonté d’harmonie, d’uniformisation, dans nombre d’oeuvres utopiques, que l’on retrouve par la suite dans divers projets politiques dits révolutionnaires ou réformateurs (anarchistes, communistes, socialistes), est une chose quelque peu illusoire, rappelant  les désirs chimériques de paradis religieux.

   De même, au delà de l’aspect « iréel » et du potentiel de fanatisme que peut recouvrir la volonté d’harmonie universelle dans les sociétés humaines, on peut aussi s’interroger sur ce que suppose cette idée.  À savoir est-il bénéfique de supprimer toute altérité dans nos sociétés ? Rien n’est moins sûr car c’est aussi par l’altérité que l’on se construit aussi bien collectivement qu’individuellement.

    Cependant, difficile de concevoir, au vu de l’état du monde, qu’il ne soit pas désirable de le transformer radicalement. Qui plus est, à la Bibli, nous sommes effectivement partisans d’un monde producteur de moins de douleurs et souffrances, où les conditions de l’altérité ne seraient plus celles, extrêmement violentes, déshumanisantes et absurdes de la société bourgeoise actuelle. Ne pas l’être révèle souvent que l’on a simplement tout intérêt à le garder en l’état.

   Toujours est-il que l’utopie, en tant que désir et imagination d’un monde meilleur reste un cap et une inspiration. Ce n’est pas un état de félicité à atteindre absolument qui signerait la fin de l’histoire. Celle-ci n’arrivera jamais et n’est que la somme des activités humaines, elle n’a donc pas de sens et pas réellement de fin. Il en va de même pour le communisme, qui en tant que projet, idéal et mouvement, ne sera jamais une réalisation définitive et statique mais se doit d’être perpétuellement en construction4.

Quelques oeuvres dystopiques dispos à la Bibli :

Nous de Evgueni Zamiatine, écrit en 1920

 -Le meilleur des mondes de Aldous Huxley, écrit en 1931

1984 de George Orwell, 1949

Fahrenheit 451 de Ray Bradbury,1953

– L’Orange mécanique d’Anthony Burgess, 1962

– Minority Report de Philip K. Dick ,1956

-La servante écarlate de Margaret Atwood,1985

Sources

+Alice Carabédian, Utopie Radicale : Par delà l’imaginaire des cabanes et des ruines, Seuil, 2020

+Roger-Michel Allemand, L’utopie, Ellipses éditions, 2005

 +Karl Marx, Friedrich Engels, L’idéologie allemande, 1845-1846, première publication en 1932

Notes

1 Alice Carabédian, Utopie Radicale : Par delà l’imaginaire des cabanes et des ruines, Seuil, 2020, p.71, p.80

2 Idem, p.80

3 Aspect que l’on peut retrouver dans l’Utopie de Thomas More (1516) ou dans la Cité du Soleil de Tomaso Campanella (1604) par exemple.

4 Cette idée se rattache à celle de Marx et Engels exprimée notamment dans les manuscrits posthumes publié en 1932 sous le titre de L’idéologie Allemande : « Le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. »

 

B-Où va-t-on chercher l’Utopie? Le futur et la science-fiction

    L’une des sources d’imaginaires les plus importantes pour l’utopie actuelle est la science-fiction et l’anticipation.

    Premièrement, comme le souligne l’autrice Alice Carabédian, la SF a souvent cette particularité, cette force, d’allier l’inventivité, l’imagination avec la rationalité, la science et la logique. Se basant souvent sur la création et la projection de technologies nouvelles, que l’on imagine plus ou moins possibles, la science-fiction tend à ancrer son récit dans une certaine « réalité », du moins un certains réalisme. Réalité que l’on se représente alors d’autant plus fortement qu’elle semble parfois être une évolution possible de nos sociétés actuelles.

    Cet aspect est aussi renforcé par le fait que la science-fiction est depuis longtemps un genre très politique, qui par l’imagination d’une société autre (humaine ou non humaine) ou d’une évolution des sociétés « présentes », parle surtout de nos propres rapports sociaux et politiques. Elle est donc très facilement une critique de ces mêmes rapports, ou du moins elle peut en être une sorte de « photographie ».

    Deuxièmement, comme le dit bien Alice Carabédian, « parce que la SF est un espace de liberté inégalé. Tout y est possible, tout y est imaginable ». Or tout ce « qui est imaginable est potentiellement réalisable. »1.

    Ainsi, la science-fiction permet la projection d’un futur et/ou d’un ailleurs plus désirable où l’on imagine des sociétés fonctionnant ou tentant de fonctionner d’une autre manière qu’actuellement. Et In fine, on retrouve donc parfois dans la SF et l’anticipation des présupposés similaires aux premières utopies littéraires modernes : Critique de la société dont on est issu, ( renforcée par une critique de son potentiel devenir), description d’une société plus ou moins idéale qui renforce cette même charge critique et émet l’hypothèse d’autres possibilités sociales.

    Prenons l’exemple du roman Les Dépossédés, sorte d’utopie « grise », écrit en 1974 par Ursula Le Guin, autrice de Science-fiction et de Fantasy américaine. L’histoire des Dépossédés prend place dans, le cycle de Hain où se déroulent plusieurs œuvres de l’autrice. Dans cet univers, les humains issus du monde de Hain se sont implantés sur de nombreuses planètes il y a des milliers d’années. Au fur et à mesure, les liens entre les mondes ont été rompus, les humains des diverses planètes (dont la la Terre) perdent alors la connaissance de leurs origines, s’estimant les seuls représentants de leur espèce. Puis, après des années d’isolement, la technologie des voyages stellaires étant retrouvé par l’une des civilisations humaines, les contacts entre les mondes se recréent et une nouvelle civilisation interstellaire tente de se reformer : l’Ekumen.

    L’histoire des Dépossédés se déroule sur deux planètes humaines, lunes l’une de l’autre : Urras et Anarres. Urras est une planète divisée en plusieurs nations et blocs, dont l’un est capitaliste et patriarcal, l’autre étant socialiste étatique et autoritaire. Suite au développement sans précédent d’un mouvement révolutionnaire anarchiste, les principales nations Urrastis ont négocié le départ sans retour des membres de ce mouvement vers la lune Anarres, monde hostile et désertique. Ceux-ci, appelés les odoniens, auront alors tout le loisir de la coloniser et d’y appliquer leurs idées politiques avec la garantie que Urras ne tentera pas de les envahir.

    Le récit commence près de deux siècles après ces événements, les révolutionnaires ont construit leur société « anarchiste ». La propriété et l’argent n’existe plus, l’état et la hiérarchie sont censés avoir été abolis. Un chercheur d’Anarres, Shevek, part alors vers le monde d’Urras pour renouer contact avec la planète d’origine…

    Dans cette œuvre, à travers les péripéties de son personnage principal, Le Guin se livre à une description de nombreux aspects de la société anarresti : organisation politique et rapports de production mais aussi éducation, famille, rapports amoureux, habitat/urbanisme. De plus, notamment par le contact qu’entretient Shevek avec le monde d’Urras, l’autrice explore la culture, le langage, l’éthique, les mentalités et perceptions anarrestis qu’elle met alors en miroir avec celles des sociétés inégalitaires et autoritaires d’Urras.

    Utopie éminemment ambiguë (comme l’indique le sous-titre de l’oeuvre), les Dépossédés dépeint le fonctionnement d’une société anti-autoritaire ascétique, aux conditions matérielles limitées et un environnement climatique rude voire extrême. Le Guin ne se prive d’ailleurs pas d’exposer les contradictions de ce système, ses « qualités » et ses « défauts ».

    De même, à travers son récit, le Guin interroge aussi la force des mythes utopiques et révolutionnaires dans les représentations et aspirations humaines, à fortiori chez les plus exploités et dominés. Voici quelques extraits du bouquin [Attention ça spoil forcément un peu] :

Relations affectives et sexuelles sur Anaress

Premier passage

« Un Odonien assumait la monogamie tout comme il pouvait assumer une entreprise commune dans la production, qu’il soit danseur ou qu’il fabrique du savon. L’alliance était une fédération volontairement constituée comme toutes les autres. Aussi longtemps qu’elle fonctionnait, elle fonctionnait, et lorsqu’elle ne fonctionnait plus elle prenait fin. Ce n’était pas une institution, mais une fonction. Elle ne recevait d’autre sanction que celle de la conscience individuelle.

Tout cela été parfaitement en accord avec la théorie sociale odonienne. La validité d’une promesse, même sans terme défini, était fondamental e dans la pensée odonienne ; bien qu’on pût penser que l’insistance d’Odo à propos de la liberté de changer invalidait l’idée de promesse ou de vœu, c’était en fait la liberté qui donnait de l’importance à la promesse. Une promesse est une direction prise, une limitation volontaire du choix.

Comme Odo l’avait fait remarquer, si aucune direction n’est prise, si l’on ne va nulle part, aucun changement ne se produira. La liberté de chacun de choisir et de changer restera inutilisée, exactement comme si on se trouvait en prison- une prison qu’on s’est soi-même construite, un labyrinthe dans lequel aucun chemin n’est meilleur qu’un autre. Aussi Odo en était-elle arrivée à considérer la promesse, l’engagement, l’idée de fidélité ,comme une part essentielle dans la complexité de la liberté.

Bien des gens sentaient que cette idée de fidélité était mal appliquée à la vie sexuelle. La féminité d’Odo l’avait poussée, disaient-ils, vers un refus de la vraie liberté sexuelle ; dans ce passage, même si il s’agissait du seul, Odo n’écrivait pas pour les hommes. Comme autant de femmes que d’hommes lui firent cette critique, il apparut ainsi que ce n’était pas la masculinité qu’Odo n’avait pas comprise, mais une catégorie, ou une partie entière de l’humanité, les gens pour qui l’expérimentation se situe au cœur du plaisir sexuel.

Peut-être ne les avait-elle pas compris, et sans doute les considérait-elle comme des aberrations propriétaristes – l’espèce humaine étant faite, sinon pour se mettre en couple, du moins pour nouer des relations durables ; mais elle avait mieux organisé les choses pour les gens aux mœurs légères que pour ceux qui désiraient s’engager dans une alliance à long terme. Aucune loi, aucune limite, aucune sanction, aucune punition aucune désapprobation ne pouvait être appliquée à une pratique sexuelle quelle qu’elle fût, à part le viol d’un enfant ou d’une femme, pour lequel les voisins du coupable risquaient de se charger d’exécuter une vengeance sommaire si il n’était pas rapidement pris en charge par le personnel plus prévenant d’un centre thérapeutique.

Cependant, les brutalités s’avéraient extrêmement rares dans une société où le désir sexuelle était génér.alement comblé dès la puberté, et la seule limite sociale imposée à l’activité sexuelle se résumait à une faible pression en faveur de l’intimité, une sorte de pudeur imposée par la vie communautaire.

D’un autre côté, ceux qui entreprenaient de former et de conserver une alliance, qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels, se heurtaient à des problèmes inconnus de ceux qui se satisfaisaient du sexe là où ils le trouvaient. Ils devaient faire face non seulement à la jalousie, au désir de possession et autres maladies passionnelles pour lesquelles l’union monogamique constitue un excellent terrain, mais aussi aux pressions externes de l’organisation sociale. Un couple qui formait une alliance devait le faire en ayant bien conscience qu’il risquait d’être séparé à tout moment par les exigences de la distribution du travail.

La Ditrav, l’administration de la Division du travail s’efforçait de garder les couples ensemble, et de les réunir le plus vite possible s’ils le demandaient. Cela n’était pas toujours possible, en particulier lorsqu’il y avait des mobilisations urgentes, et personne d’ailleurs n’attendait de la Ditrav qu’elle refasse des listes entières et reprogramme ses ordinateurs dans ce but.

Pour survivre, pour continuer à vivre, un Anarresti savait qu’il devait se tenir prêt à partir là où on avait besoin de lui, et s’acquitter des tâches qu’il fallait accomplir. Il grandissait en sachant que la distribution du travail était un facteur essentiel de survie, une nécessité sociale immédiate et permanente ; alors que l’alliance était une question personnelle, un choix qu’on ne pouvait faire que dans la cadre d’un choix plus large.

Lorsqu’une direction est prise librement, et suivie sans réserve, tout semble favoriser sa pérennité. Aussi la possibilité et la réalité de la séparation servaient-elles souvent à renforcer la loyauté des partenaires. Maintenir une fidélité pure et spontanée dans une société qui n’avait pas de sanctions légales ou morales contre l’infidélité, et la maintenir durant une séparation volontairement acceptée susceptible de survenir à tout moment et de durer des années, c’était une sorte de défi. Or l’être humain aime à être défié, il cherche la liberté dans l’adversité.2 »

Deuxième passage

« Les femmes, déclara Vokep au dépôt de camions de Tin Ore, dans le Sud-Ouest. Les femmes pensent qu’elles te possèdent. Aucune femme ne peut vraiment être une Odonienne.

Odo elle-même… ?

C’est de la théorie. Et elle n’a eu aucune vie sexuelle après la mort d’Asieo, pas vrai ? Et, de toute façon, il y a toujours des exceptions. Mais, pour la plupart des femmes, la seule relation avec un homme se résume à avoir. Soit posséder, soit être possédée.

Tu penses qu’elles sont différentes des hommes sur ce point ?

Je le sais. Ce qu’un homme veut, c’est la liberté. Ce que veut une femme, c’est la propriété. Elle ne te laissera partir que si elle peut t’échanger contre quelque chose d’autre. Toutes les femmes sont des propriétaires.

C’est là une drôle de chose à dire sur la moitié de la race humaine », rétorqua Shevek, qui se demandait néanmoins dans quelle mesure cela reflétait la vérité. Beshun avait pleuré à s’en rendre malade quand on lui avait redonné un poste dans le Nord-Est. Elle s’était emportée, avait tenté de le forcer à dire qu’il ne pouvait pas vivre sans elle, soutenu qu’elle ne pouvait pas vivre dans lui et qu’ils devaient devenir partenaires. Des partenaires, comme s’il lui était arrivé de rester avec le même homme plus de six mois !

La langue que parlait Shevek, la seule qu’il connaissait, manquait d’expressions possessives pour qualifier l’acte sexuel. En pravique, cela n’avait aucun sens pour un homme de dire qu’il avait « eu »une femme. Le mot dont la signification se rapprochait le plus de « baiser », et qui avait un emploi secondaire comme juron, était spécifique : il signifiait « violer ». Le verbe usuel, qui n’accepte qu’un sujet pluriel, ne peut être traduit que par un terme neutre, comme « copuler ». Il signifiait quelque chose que faisaient deux personnes pas ce que faisait ou avait fait une seule personne.

Cette structure de mots ne pouvait – pas plus qu’une autre- contenir la totalité des expériences, et Shevek avait conscience de l’espace qui restait en dehors, mais sans être tout à fait certain de ss dimensions. Il avait assurément senti qu’il possédait Beshun, certaines de ces nuits étoilées passées dans la Poussière. Et elle-même avait cru qu’il lui appartenait. Or tous les deux s’étaient trompés ; et Beshun, malgré sa sentimentalité, le savait ; elle vait fini par lui donner un baiser d’adieu, un sourire aux lèvres et l’avait laissé partir.

Elle ne l’avait pas possédé. C’était le propre corps de Shevek , dans son premier élan de passion sexuelle adulte, qui l’avait possédé – en même temps que la jeune femme. Mais tout cela était fini. Ça s’était produit. Jamais plus […], jamais plus cela ne se reproduirait. Il pouvait se passer bien des choses, il ne se ferait pas prendre une seconde fois, il ne serait plus battu, vaincu. La défaite, l’abandon avaient leur séduction propre. Beshun elle-même pourrait ne jamais désirer de joie en dehors d’elle. Et pourquoi le voudrait-elle ? C’était elle, dans liberté, qui avait libéré Shevek.

« Je ne suis pas d’accord, tu sais, lança-t-il à Vokep, un agronome pourvu d’un long visage qui se rendait à Abbenay. Je crois que c’est surtout les hommes qui doivent apprendre à être des anarchistes. Les femmes ont ça dans le sang.

Vokep secoua la tête inflexible. « C’est les gosses, dit-il. Avoir des bébés. Ça les rend propriétaires. Après, elles refusent de lâcher l’affaire. » Il soupira. « Coucher et partir, frère – voilà la règle. Ne laisse jamais personne te posséder. » Shevek termina son jus de fruit. « Ce n’était pas au programme », sourit-il. »3

Patriarcat. Rapports de genre/Egalité hommes-femmes

 

« Est-il vrai, docteur Shevek, que dans votre société les femmes sont traitées exactement comme les hommes ?

– Ce serait faire peu de cas d’un matériel de qualité » répliqua Shevek avec un sourire, avant d’éclater de rire quand lui apparut tout le ridicule de cette idée.

Le docteur hésita, contournant apparemment avec difficulté un des obstacles de son esprit, puis afficha une confusion manifeste. « Oh non, je ne voulais pas dire sexuellement, à l’évidence vous… elles… Je voulais parler de leur statut social.

« Statut est-il un synonyme de « classe »? »

Kimoe essaya de lui expliquer ce mot, sans succès ; aussi revint-il au premier sujet. « N’y a t-il vraiment aucune distinction entre le travail des hommes et celui des femmes ?

– Eh bien, non, ce serait un critère très … mécanique sur lequel fonder la division du travail, ne trouvez-vous pas ? Une personne choisit sont travail en fonction de son intérêt, de son talent, de sa force… qu’est-ce que le sexe viendrait faire là dedans ?

– Les hommes sont plus forts, physiquement, affirma le docteur avec une assurance professionnelle.

– Oui, souvent, et plus grands – mais quelle importance quand nous avons des machines ? Et même lorsqu’il n’y en a pas à notre disposition, quand il faut creuser avec une pelle ou porter quelque chose sur le dos, les hommes travaillent peut-être plus vite – les plus forts, en tout cas –, mais femmes se montrent plus endurantes… J’ai souvent souhaité être aussi résistant qu’une femme.

Kimoe le dévisagea, si choqué qu’il en oubliait les convenances. « Cependant, la perte de… de tout ce qui est féminin – de la délicatesse – et la perte de la dignité masculine… Vous ne prétendez quand même pas que, dans votre travail, les femmes sont vos égales ? En physique, en mathématiques, d’un point de vue… intellectuel ? Vous ne pouvez quand même pas faire semblant de vous abaisser constamment à leur niveau ? »

Shevek s’installa dans le confortable fauteuil rembourré, puis d’un regard fit le tour de la salle des officiers. À l’écran, la courbe brillante d’Urras demeurait immobile sur le fond noir de l’espace, telle une opale bleu-vert. Cette vision agréable de même que la salle lui étaient devenus familières ces derniers jours, mais à présent les couleurs vives, les chaises curvilignes, les lampes dissimulées, les tables de jeux, les écrans de télévision, la moquette, tout celui lui semblait aussi étranger que la première fois qu’il les avait vus.

« Je ne crois pas avoir prétendu grand-chose, Kimoe, dit-il.

– Bien sûr, j’ai connu des femmes très intelligentes, des femmes capables de penser exactement comme un homme » fit le docteur d’une voix précipitée, conscient d’avoir presque crié – d’avoir crié, songea Shevek, en martelant la porte vérouillée de ses poings.

Il changea de conversation, mais continua d’y penser. Ce problème de supériorité et d’infériorité devait représenter un problème majeur dans la vie sociale urrastie. Si pour se respecter Kimoe devait considérer la moitié de la race humaine comme lui étant inférieure, alors comment les femmes faisaient-elles pour se respecter – considéraient-elles les hommes comme inférieurs ? Et comment tout cela affectait-il leur vie sexuelle ?

Il savait, d’après les écrits d’Odo, que deux cents ans auparavant les principales institutions sexuelles urrasties étaient le « mariage », une alliance autorisée et imposée par des sanctions légales et économiques, et la « prostitution », qui semblait être un terme plus large, la copulation au niveau économique. Odo les avait condamnés tous les deux, et pourtant elle-même s’était « mariée ». Et de toute façon, les institutions avaient dû beaucoup changer en deux siècles. S’il devait vivre sur Urras, avec les Urrastis, Shevek ferait bien de découvrir en quoi.

Il trouvait bizarre que même le sexe, source de tant de soulagement, de plaisir et de joie pendant de si nombreuses années, pût devenir du jour au lendemain un territoire inconnu où il devait progresser prudemment et reconnaître son ignorance ; or tel était pourtant le cas. Shevek en était avertir non seulement par l’étrange explosion de colère de Kimoe, mais aussi par une impression jusque-là vague que cet épisode remit en lumière.

Quand il était arrivé à bord du vaisseau, durant ces longues heures de fièvre et de désespoir, il avait été troublé, parfois ravi et parfois irrité, par une sensation très simple : la douceur de son lit. Ce n’était qu’une couchette, pourtant, le matelas supportait son poids avec une souplesse caressante. Il s’ajustait à lui avec une telle insistance que Shevek en était, encore maintenant, toujours conscient en s’endormant. Le plaisir et l’irritation qu’il lui procurait étaient tous deux nettement érotiques.

Il y avait aussi l’appareil de séchage par air chaud : c’était la même sorte d’effet. Une caresse. Et la forme des meubles dans la salle des officiers, les douces courbes plastiques selon lesquelles avaient été contraints le bois et le métal rigides, la finesse et la délicatesse des surfaces et des textures, n’étaient-elles pas aussi, vaguement, mais d’une manière insidieuse, érotique ? Il se connaissait suffisamment bien pour savoir que quelques jours sans Takver, même dans un contexte particulièrement stressant, ne devraient pas le travailler au point de lui faire imaginer une femme sur chaque table. À moins que la femme ne s’y trouvât véritablement.

Les ébénistes urrastis étaient-ils tous célibataires ? Shevek renonça à creuser le sujet ; il le découvrirait bien assez tôt, une fois sur Urras.4

     Même si on est pas forcément d’accord avec tout ce qui y est dit on conseille aussi l’écoute de l’épisode L’économie selon Ursula Le Guin de l’émission de radio En attendant l’Eco sur France Culture qui explore le rapport à l’économie dans l’oeuvre de Le Guin, en particulier dans La Main Gauche de la nuit et Les Dépossédés.

Sources

+ Alice Carabédian, Utopie Radicale : Par delà l’imaginaire des cabanes et des ruines, Seuil, 2020

+ Ursula Le Guin, Le Livre de Hain Intégrale volume I, Les Dépossédés, Librairie Générale française, 2023 (1ère parution des Dépossédés : 1974)

+ L’économie selon Ursula Le Guin de l’émission de radio En attendant l’Eco sur France Culture

Notes

1 Alice Carabédian, Utopie Radicale : Par delà l’imaginaire des cabanes et des ruines, Seuil, 2020, p. 66

2 Ursula Le Guin, Le Livre de Hain Intégrale volume I, Les Dépossédés, Librairie Générale française, 2023, (1 ère parution des Dépossédés : 1974), p.1199-1201

3 Idem, p. 981-983

4 Idem, p.941-944

Communautés utopiques et révolution : Révolution et utopie

    Comme dit dans l’article précédent sur les communautés utopiques, les révolutions dites bourgeoises du  XVIIIe siècles ont consacré et produit de nouveaux rapports sociaux à leur époque respective. Dès cette période, et même avant, des luttes politiques et sociales d’ampleur sont des moyens et des moments où se produisent et se réalisent des désirs et des imaginaires politiques plus ou moins émancipateurs.

    Au XIXe siècle, les franges les plus subversives du mouvement ouvrier souhaitaient par ailleurs aller plus loin que les révolutions bourgeoises en prônant comme dit dans l’article précédent, une révolution sociale censée abolir le capitalisme voire l’état et construire ainsi une société égalitaire et libre. Ces mouvements politico-sociaux, malgré des tendances, des valeurs, des stratégies et des tactiques parfois éminemment contradictoires et opposées (pour simplifier les premiers anarchistes vs les premiers communistes par exemple) ont lié la question de la critique sociale, de l’émancipation et de l’imagination d’un autre « état social », en quelque sorte la question de l’utopie donc, à la question de la révolution.

   Cet aspect du mouvement ouvrier radical est d’autant plus marqué qu’il n’est pas que « théorique ». Il est aussi le fruit des luttes de classe du siècle, des luttes souvent dures faites de grèves, d’insurrections, d’expérimentations sociales et politiques nouvelles comme par exemple la Commune de Paris de 1871, etc. De plus, ces luttes et expériences s’alimentent mutuellement et nourrissent les désirs et rêves d’émancipation radicale. En somme, ces luttes commencent à produire leurs propres mythes et références.

   Mais c’est davantage au Xxe siècle que des processus et mouvements révolutionnaires, en partie expression de ces luttes de classe, tentent d’imaginer, de produire et d’expérimenter radicalement et massivement, une autre manière de vivre. Un peu de contexte.

Contexte

   Le Xxe siècle, tout comme le XIXe siècle, est aussi un moment de fort conflits sociaux. C’est le siècle du capitalisme industriel triomphant, des guerres mondiales et impérialistes modernes. Mais, c’est également un moment de grande potentialité subversive, incarnée notamment par le développement et l’implantation d’un mouvement ouvrier puissant à travers le monde et pas seulement en Occident. De même, des luttes massives et des tentatives de révolutions sociales d’ampleur, inspirées en partie des idéaux du mouvement ouvrier , voient le jour entre les deux guerres mondiales : la révolution russe de 1917, la révolution allemande de 1918, les conseils de Turin en 1920, la révolution espagnole de 1936…

   Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les potentialités révolutionnaires sur la vieille Europe et en Occident semblent définitivement éteintes. Il n’en reste pas moins que les luttes anticolonialistes chamboulent le vieil ordre colonial européen jusque dans les années 60-70.

    Ces deux dernières décennies marquent la dernière séquence subversive de masse en Occident. C’est le moment de la contre-culture aux USA, des communautés hippies et/ou anarchisantes. Mais, c’est aussi un moment de renouveau des luttes prolétariennes incarnées par divers mouvements comme Mai 68, le mouvement autonome et les luttes ouvrières italiennes des années 60-70, les différents mouvements de contestation plus ou moins radicaux aux USA etc etc. Un moment où l’idée d’une révolution sociale, et d’une autre manière de vivre, était encore bien vivace dans de nombreuses régions du monde.

    Voici quelques exemples de ce que ces révolutions ou tentatives du Xxe siècle ont pu produire, en terme d’imaginaires, de pratiques utopiques et/ou émancipatrices.

Le constructivisme en URSS

   En Russie, la révolution de 1917 est accompagnée par un mouvement artistique : le constructivisme. Fondé en 1915 ce mouvement va presque devenir l’art officiel de l’URSS, jusqu’à ce qu’au début des années 30 Staline impose une réaction artistique – le réalisme socialiste.

   À société nouvelle, à la fin de l’exploitation, de l’histoire, il fallait bien donner un art qui rompt avec ce qui précède, l’art bourgeois.

   Le constructivisme, en mettant fin au sujet dans l’art, en se tournant vers la forme et la couleur, en questionnant la fonction d’une œuvre,mais aussi en investissant le design, le cinéma, le théâtre et l’architecture, va donner un esprit et un souffler à la transformation sociale en cours.

   La réalisation des propositions les plus folles est sérieusement envisagée : la tour Tatline, monument aux formes géométriques en rotation sur elles-même, les cités volantes de Georgii Krutikov.

   D’autres se réalisent comme le club des travailleurs de Zouïev:

   Les moyens de grandes diffusions, la publicité, le cinéma, sont totalement investis par le constructivisme et diffusent le message d’une société nouvelle et égalitaire. Une exposition présentée au Grand Palais, il y a quelques années, intitulée Rouge, montrait l’étendu de cet utopisme constructiviste après la révolution de 1917. Des bâtiments aux tissus, des meubles aux films toute production humaine était touchée par ce courant artistique.

   La période stalinienne marque la fin de ce fourmillement artistique, non seulement par la mise au pas du monde l’art, mais aussi parce que le souffle utopique de la révolution est peu à peu étouffé sous la répression et les dommages de l’industrialisme soviétique.

   Mais après la mort de Staline, l’ouverture politique voulue par Khroutchev combiné aux réussites de la cosmonautique russe (premier satellite artificiel en 1957, premier homme dans l’espace en 1961), va produire un second souffle utopique basé sur l’imaginaire spatiale.

Hôtel Salyut, Kiev, construction achevée en 1984

   Celui-ci s’appuyant sur les ruines du constructivisme, va de nouveau investir tous les arts et proposer un imaginaire vivifiant autour d’un nouveau monde à explorer et habiter, l’espace. Nous vous conseillons à ce sujet l’excellent vidéo du Vortex – Le brutalisme l’architecture de la dépression dispo sur youtube :

   Si la sois disante utopie bolchévique s’est plutôt révélée dystopique et à contribué à décrédibiliser pour longtemps l’idée même de révolution, l’imaginaire déployé par les artistes qui en ont porté l’idée à certains moments reste aujourd’hui encore quelque chose de riche pour qui cherche à penser un autre monde.

La révolution Espagnole de 1936

    La révolution sociale espagnole de 1936 fut l’une des tentatives de révolution les plus radicales en Europe. Inspirées en partie par les idées communistes libertaires et socialistes, des personnes ont  tenter de  mettre en place de nouveaux rapports sociaux.

    Malgré les luttes sanglantes contre la réaction, les tentatives de mise au pas des processus radicaux (par les staliniens notamment), elles ont alors inventé  et expérimenté pendant un temps, de manière concrète et à une grande échelle, une nouvelle manière de vivre.

   En témoigne ces quelques scans tirés du bouquin Le rêve en Armes : révolution et contre-révolution en Espagne, 1936-1937, l’un des bouquins disponibles à la Bibli sur cette révolution sociale (p.44, 47, 48, 50):

Sources:

+ Julius Van Daal, Le rêve en Armes : révolution et contre-révolution en Espagne, 1936-1937, Nautilus, 2001

+ Le Vortex – Le brutalisme l’architecture de la dépression

C-Communautés utopiques et révolution : Communautés utopiques

Contexte

    L’avènement du capitalisme au XIXe siècle, en tant que mode de production dominant à l’échelle du globe, amène à une reconfiguration des conflits entre groupes sociaux antagonistes. Cela passe par la prolétarisation et l’exploitation, toujours plus massive et intense, d’un grand nombre de personnes au profit de la bourgeoisie en tant que classe montante et dirigeante.

    Le XIXe siècle c’est aussi l’âge d’or des empires coloniaux britanniques et français. La Grande-Bretagne est alors la première puissance économique mondiale, présente sur tous les continents.

    Dès lors, le XIX siècle est une période de forts conflits sociaux en Europe et dans le reste du monde. C’est un siècle traversé de guerres, de guerres civiles, de révolutions, de luttes de classes plus ou moins intenses etc.

    Durant cette séquence se constitue le mouvement ouvrier. Celui-ci souhaite, pour ses tendances les plus subversives, une révolution mondiale, processus devant aboutir à un nouvel ordre social fonctionnant sur des bases nouvelles. Le révolution doit aboutir à l’abolition du capitalisme, de l’état, de la propriété privée et des classes par la mise en commun des moyens de production pour permettre l’émancipation des exploités et par extension de toute la société.

    C’est donc durant cette période que prennent corps, en théorie et en pratique, les mouvements socialistes, anarchistes et communistes, idées et mouvements en partie produits et matrice des luttes de classes des premiers temps du capitalisme.

    L’idée de vivre en communauté pour expérimenter une nouvelle organisation sociale, est assez ancienne. Comme nous l’avons déjà vu, on observe ces tentatives avec certains mouvements hérétiques et millénaristes. De même, après la Réforme protestante, de nombreuses communautés , plus ou moins égalitaristes et religieuses, s’implantent et se développent en Amérique pour fuir les persécutions religieuses. Certains, comme les Amish, existent toujours de nos jours.

    Durant la première moitié du XIXe siècles, émerge différents projets d’utopies sociales qui imaginent une nouvelle société égalitaire et désirable. Parmi les plus connues, on compte le fouriérisme, les communautés owenistes ou l’Icarie de Cabet. Ces projets inspireront de nombreuses expériences communautaires à travers le monde et notamment aux USA et en Amérique.

    Dans ces communautés on souhaite expérimenter concrètement, directement, une autre manière de vivre. On tente de créer un espace de liberté et d’égalité dans un monde marchand et industriel alors en plein essor. En voici quelques exemples.

Le fouriérisme

«  Fourier imagine une cité idéale qu’il baptise Harmonie. Son Traité de l’association domestique agricole (1822) conçoit les phalanstères, sortes de coopératives de travailleurs fondées sur la division du travail et sur l’harmonie obtenue grâce au développement des « attractions passionées.

[…]

L’utopie fouriériste concilie structures collectives (habitat, réfectoires, pouponnières), dont certaines relèvent significativement de la culture (théâtres et bibliothèques), et protection de la liberté individuelle, puisque chacun peut exercer le métier de son choix, que les salaires sont inégaux et que la notion de propriété se trouve maintenue. »1

Une communauté communiste de l’Iowa :

   En 1842, Etienne Cabet (1788-1856) publie en France Voyage en Icarie, un essai et roman utopique inspirée de l’oeuvre de More, qui prône les valeurs d’un communisme quelque peu chrétien, agrémenté des théories scientifiques, économiques et industrielles nouvelles. Son ouvrage connaît un certain succès, notamment dans les milieux prolétaires.

   En 1847, Cabet et ses partisans décident de partir aux USA pour créer des colonies et communautés communistes inspirées de ses idées. Celles-ci, par leur exemple, doivent alors convaincre de plus en plus de personnes et permettre le développement d’autres communautés et du communisme.

   Dès lors, avec fidélité aux idées de Cabet (parfois conservatrices sur la question sexuelle et la place des femmes), ou en les dépassant, les icariens tentent de réaliser leur expérience communautaire. Et, malgré maintes scissions et mésaventures, de 1848 à 1898 plusieurs communautés dites icariennes voient finalement le jour aux Etats-unis.

   La communauté de Corning, dans l’Iowa est fondée dans les années 1850 et se scinde à partir de 1878 en deux branches. C’est une des expérimentations icariennes les plus abouties. Kenneth Rexroth l’évoque dans son ouvrage Le Communalisme :

« En 1876, on comptait soixante-quinze membres. Une dizaine de familles y vivaient, logées dans des bâtisses bordant trois des côtés d’une place centrale, où se dressait un grand bâtiment abritant une cuisine et une salle à manger communautaires, laquelle servait également de lieu de réunion et de réjouissance.

On y trouvait aussi une boulangerie et une blanchisserie, des étables et des granges ainsi qu’un grand nombre d’autres dépendances, construites en rondins. […] Au delà des bâtiments s’étendaient 2000 arpents de terres fertiles, dont 700 cultivés comprenant des bois, des prairies et des pâtures. Les icariens de l’Iowa possédaient 600 moutons, 140 vaches, principalement laitières, et faisaient pousser du maïs, du froment, des pommes de terre, du sorgho, des légumes et des petits fruits. Ils cultivaient aussi des vignobles et des vergers.

Tous les repas étaient pris en commun. De nombreuses activités ménagères, comme la blanchisserie, étaient pratiquées collectivement. Les soirées étaient égayées par des bals, des concerts et d’autres distractions, organisées ou spontanées. Le dimanche se tenait une sorte de service, qui comprenait une conférence, des chants de leur cru et la lecture de morceaux choisis des œuvres d’Etienne Cabet. »

Au fil des années, des changements s’étaient opérés dans l’économie de la colonie. À l’exception du grain et des autres grandes récoltes, le produit des parcelles individuelles associées aux logements familiaux avait fini par dominer la production alimentaire […].

Ce fut la vieille génération de révolutionnaires- les pionniers venus avec Cabet- qui réclama le maintien de cette entreprise sem-privée semi-collective. Les plus jeunes, surtout les réfugiés qui avaient fui la France après la Commune de Paris, exigèrent une communisation totale de la production. […]

Le groupe des plus anciens continua dans sa nouvelle communauté sur le mode qu’elle avait adopté depuis des années. Ils cultivaient des vergers et des vignes, travaillaient dur, mangeaient simplement, s’habillaient modestement- ils portèrent des sabots jusqu’à la fin.

Ils occupaient leurs loisirs à jouer de la musique et à assister à des conférences données par les membres. Ils faisaient aussi grand usage de leur bibliothèque, qui comptait plus de 1000 volumes, tous écrits en français.

En 1883, ils comptaient encore 34 membres. Ils vieillissaient. Leurs enfants étaient partis. Un par un, discrètement, ils s’en allèrent. »

Kenneth Rexroth, Le communalisme : les communautés affinitaires et dissidentes, des origines jusqu’au Xxe siècle, p.278-280

Critique et influence

     Marx et Engels, tout en reconnaissant l’apport de ces théories/projets en sont très critiques. Ils qualifient ces expériences et ces théories de socialismes « utopiques », dans le sens d’idéalistes, de non-révolutionnaires et donc d’irréalisables et potentiellement contre-productives pour un projet d’émancipation globale. En effet, pour eux, comme pour tout un pan du mouvement ouvrier alors en développement, l’émancipation des exploités n’est possible que par une révolution sociale d’ampleur et dans les luttes de classes, moteur de l’histoire. De plus, l’étude, la critique de la société et l’émancipation des prolétaires doit se baser sur une juste analyse des rapports sociaux.

« Leurs inventions personnelles doivent suppléer ce que le mouvement social ne produit point ; les conditions de l’émancipation prolétarienne, c’est l’histoire qui les donne, mais ils préfèrent les tirer de leur imagination ; à l’organisation graduelle et spontanée du prolétariat en classe, ils veulent substituer leur fiction d’une organisation de la société. En forgeant leurs plans, ils ont pourtant conscience de défendre avant tout l’intérêt de la classe la plus misérable, de la classe laborieuse. Et c’est sous ce seul aspect de la souffrance extrême que le prolétariat existe pour eux. »2

    Certains aspects de cette critique, qui influencera nombre de révolutionnaires et de marxistes orthodoxes, sont en soi pertinents. Premièrement, il est vrai que les théories propres aux utopies sociales du XIXe siècle (Saint-Simon, Fourier, Owen etc) n’envisagent pas toutes clairement l’établissement d’une société communiste, dans le sens d’une société où la propriété n’existe plus, où la division du travail et les classes sont abolies. Elles sont d’inspiration parfois moins radicales que certaines pensées qui naîtront dans le mouvement ouvrier.

    Deuxièmement, il est aussi vrai que sur le plan stratégique et tactique, la mise en œuvre de communautés plus ou moins radicales en tant que pratique pose aussi question lorsque l’on souhaite une émancipation collective et individuelle de l’état, du capitalisme et de tous les systèmes de domination. Notamment, les premiers projets d’utopie sociales et de communautés utopiques ont souvent pour objectif de convaincre par l’exemple de leur fonctionnement.

    Or, cette stratégie s’est avérée relativement inefficace pour mettre en branle des populations, notamment prolétaires, en prise avec des rapports de classe qui constituent leur place dans la société et déterminent leur degré d’exploitation et d’aliénation. L’exemple et l’expérience d’une communauté, si ils peuvent être bénéfiques au renforcement théorique et pratique d’un camp révolutionnaire, ne remplacent pas la lutte souvent nécessaire contre ce qui opprime. Lutte qui permet par ailleurs l’élaboration collective de rapports politiques, culturels, sociaux. Des rapports qui participent grandement d’un processus d’émancipation révolutionnaire.

     Dans la même idée, créer un îlot communautaire fonctionnant avec d’autres normes sociales que celles de la société capitaliste dominante ne protège pas le dit îlot de l’influence de ces normes et des pouvoirs qu’elles consacrent. Ainsi, son existence peut être assez fragile et remise en question par des contraintes matérielles, économiques, culturelles, sur lesquelles elle n’a pas assez ou peu de prise.

    En somme, cette stratégie et pratiques des communautés utopiques sociales, (et des communautés affinitaires plus actuelles) sont à mettre en regard de ce qui permet ou non la conquête de l’hégémonie politique et culturelle pour la victoire d’un mouvement radical et massif d’émancipation.

    Néanmoins, cette critique n’est pas exempte de manquements tant d’un point de vue historique que politique. Tout d’abord la critique de Marx et Engels a pour but de consacrer leur pensée comme héritière et supérieure aux pensées des socialistes dits utopiques. Engels et les marxistes attesteront même d’une opposition entre socialisme scientifique et utopique. Si nous ne nions pas les apports politiques des deux penseurs, comme par exemple leur critique matérialiste de l’aliénation ou de l’idéologie, nous ne nous faisons pas non plus d’illusion sur leur propre capacité à la mystification idéologique…

     Et, le socialisme scientifique est effectivement une mystification idéologique, qui sous couvert de vouloir poser « scientifiquement » une théorie révolutionnaire participe plutôt d’un travestissement du réel. Or, la réalité historique du mouvement ouvrier semble plutôt montrer que, même si il y a eu des phases d’élaboration théoriques, politiques et pratiques plus ou moins « successives » et concurrentes, il n’y a parfois pas eu de coupure si franche entre « révolutionnaires » et « utopistes », entre pratiques ou théories « révolutionnaires » et pratiques ou théories « utopiques ».

     Par exemple, comme on l’a vu plus haut, dès le début du XIXeme siècle, des révolutionnaires participent à l’élaboration de projets communautaires. C’est notamment le cas de la communauté icarienne de Corning où des réfugiés de la Commune viennent s’installer pour finalement scissionner et tenter d’établir une communauté qu’ils et elles considèrent comme plus radicale.

    On peut aussi prendre l’exemple des colonies libertaires de la fin du XIXe-début Xxe siècles en France ou en Amérique Latine3. Celles-ci sont souvent créées par des anarchistes dits individualistes notamment en France, l’anarchisme étant alors un courant important du mouvement ouvrier européen.

   Dans certaines de ces colonies, surtout composées d’enfants de prolétaires  :

« Il ne s’agit pas de réaliser ces expériences de vie en communauté d’après un plan précis et établi d’avance, à la façon des utopistes, mais de s’associer à quelques-uns pour tenter de vivre « en camaraderie », mieux qu’on ne le ferait seul, en modifiant et corrigeant le mode de fonctionnement du milieu de vie ainsi créé, au fur et à mesure des difficultés rencontrées, en tenant compte des aspirations des participants et de leurs limites, lesquelles peuvent évoluer au cours du temps. »

[…]

Il s’agit donc moins de former une cellule de l’humanité future, comme le voulaient les socialistes utopistes engagés au xixe siècle dans ce type de réalisations, que d’assurer immédiatement à ceux qui en tentent l’expérience une vie meilleure. »4

   Dans les deux cas, ces expériences (non contemporaines), impliquent donc des personnes qui font partie des classes exploitées et agissent dans le mouvement ouvrier et révolutionnaire par divers moyens.

    Cela montre bien que ces différentiations théoriques et/ou pratiques ne jouent pas forcément de manière absolue chez des individus qui, durant ces périodes historiques, participent de cette élaboration collective et politique foisonnante que constitue le mouvement ouvrier. Leurs parcours de vie, politiques et militants sont alors parfois le fruit de diverses expérimentations pratiques (grèves, insurrections, communautés etc) conditionnées aussi par les épisodes de lutte de classes et politiques de l’époque.

    Cependant, malgré les tactiques, idéologies et pratiques diverses, un but quelque peu commun subsiste, celui d’une vie plus libre et plus riche, dégagée des contraintes capitalistes voire même de toutes les contraintes tout court.

Continuité et postérité ?

   L’expérience des communautés utopiques se poursuivra jusqu’à aujourd’hui de multiples manières. Par exemple, à partir des années 1960, de nouvelles communautés apparaissent aux Etats-Unis et en Europe. C’est le temps de la contre -culture, du renouveau des luttes prolétariennes et d’une puissante envie d’en finir avec le capitalisme triomphant.

   Leur existence traduit parfois, malgré un certain nombre de limites, une réelle volonté de subversion , de se doter de ses propres règles en opposition à des normes et rapports sociaux perçus comme aliénants.

   Sur le sujet des communautés aux USA, on conseille d’ailleurs l’écoute de l’épisode 3 de la série Voyage en utopie, intitulé Des puritains aux hippies : les communautés utopiques, de l’émission En attendant l’éco, dispo sur le site de France Culture. Le lien de l’épisode est ici.

Sources

 

+Roger-Michel Allemand, L’utopie, Ellipses éditions, 2005. Dispo à la Bibli au rayon Sciences sociales : Philosophie

+Kenneth Rexroth, Le communalisme : les communautés affinitaires et dissidentes, des origines jusqu’au Xxe siècle. Dispo à la Bibli au rayon Luttes, Révoltes, Révolutions : Communautés utopiques.

+ Gilles Gourbin, La réception marxiste de Charles Fourier : l’héritage encombrant de l’utopie, Cahiers Charles Fourier n°26, 2015

https://www.charlesfourier.fr/spip.php?article1670

+Anne Steiner, Vivre l’anarchie ici et maintenant, milieux libres et colonies libertaires à la Belle époque, Cahiers d’Histoire, 2016,

https://journals.openedition.org/chrhc/5503

+Anthony Michel, Quelques expériences fouriéristes et libertaires latino-américaines, Cahiers Charles Fourier n°22,  2011

https://www.charlesfourier.fr/spip.php?article972

+Damien Rousselière, De l’utopie écrite à l’utopie pratiquée. Une réévaluation de la contribution des communautés icariennes de l’Iowa, Le Mouvement Social n° 275,  2021

https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2021-2-page-13.htm?ref=doi#re125no125

Notes

 

1 Roger-Michel Allemand, L’utopie, Ellipses éditions, 2005, p.146

2 Karl Marx, Le Manifeste communiste, OC, I, p. 191 dans Gilles Gourbin, La réception marxiste de Charles Fourier : l’héritage encombrant de l’utopie, Cahiers Charles Fourier n°26, 2015

https://www.charlesfourier.fr/spip.php?article1670

3 Anne Steiner, Vivre l’anarchie ici et maintenant, milieux libres et colonies libertaires à la Belle époque, Cahiers d’Histoire, 2016,

https://journals.openedition.org/chrhc/5503

Anthony Michel, Quelques expériences fouriéristes et libertaires latino-américaines, Cahiers Charles Fourier, n°22, 2011

https://www.charlesfourier.fr/spip.php?article972

4 Anne Steiner, Vivre l’anarchie ici et maintenant, milieux libres et colonies libertaires à la Belle époque, Cahiers d’Histoire, 2016,

https://journals.openedition.org/chrhc/5503

Naissance de l’utopie partie II : Les Lumières

Contexte idéologique, économique et social

 

   Durant les XVIIe et XVIIIe siècles les puissances européennes continuent de s’affronter, d’étendre leurs empires commerciaux et coloniaux. Les états modernes, prémices des états-nations, commencent à prendre forme. La puissance de la noblesse et du clergé décroît de plus en plus au profit d’une partie du Tiers-états : les marchands, les administrateurs ( sorte d’ancêtres des fonctionnaires), les petits-bourgeois.

   Cette période est aussi marqué par trois révolutions majeures : les révolutions anglaises du XVIIe siècle. La révolution américaine de 1765-1783 de et la révolution française de 1789. Celles- ci produisent un bouleversement sans précédent de l’ordre politique et social occidental voire mondial. Elles consacrent le pouvoir de la bourgeoisie marchande et annonce les débuts de l’hégémonie capitaliste.

   Les sciences et techniques continuent aussi de se développer. On en est au début de l’industrie et du machinisme, techniques de production propres au capitalisme naissant, avec notamment la révolution industrielle anglaise de la fin du XVIIIe siècle.

   Les deux siècles sont également marqués par l’émergence d’un courant philosophique : Les Lumières. Dans les grandes lignes, les penseurs des Lumières sont universalistes et souhaitent le bonheur du genre humain. Leurs idéaux et leurs valeurs se basent sur le principe de Raison. La rationalité, tant scientifique que politique-philosophique doit être la base d’une pensée solide qui désire analyser et transformer le monde humain et physique/naturel.

En outre :

«  Peu après le milieu du XVIIIe siècle est en effet apparue la notion de progrès qui entraîne une modification profonde des perspectives temporelles : la durée n’est plus perçue comme une succession de cycles, mais comme une continuité. […]des causes générales provoquent un enchaînement nécessaire d’événements qui de doivent rien à la volonté divine . L’esprit philosophique repose ainsi sur l’idée d’un progrès continu de l’Histoire et sur la conviction de la bonté fondamentale de l’être humain ».1

    Partant de ces présupposés, le mouvement philosophique des Lumières va participer à la critique plus ou moins radicale des institutions, pensées et valeurs de son temps : le cléricalisme, la religion, l’absolutisme, la féodalité etc.

   Le genre utopique a là un terreau très fertile. « Par son foisonnement, par le nombre des textes et par la diversité des thèmes, le XVIIIe siècle est « le siècle classique des utopies » » 2. Elles poursuivent leur rôle de critiques, de satyres sociales voire de projets de société plus ou moins idéales.

Inspiration, réactualisation, innovation

 

   Dans le même temps, les philosophes éclairés développent les canons et caractéristiques posés par l’œuvre de More et inventent (ou réinventent) des formes et thèmes qui servent encore de modèle à la réflexion utopique et radicale aujourd’hui ; et cela aussi bien dans leurs œuvres fictionnelles que dans des ouvrages faisant office davantage de programmes ou de traités politiques.

   Tout d’abord, les utopies des Lumières réactualisent les vieux mythes d’un monde plus désirable. Notamment le mythe gréco-latin de l’âge d’or sert encore largement d’inspiration aux penseurs éclairées. Par exemple, dans Les Aventures de Télémaque de Fénelon (écrit vers 1692, publié en 1699) :

« La Bétique (VII) est une utopie régressive, en dehors de l’histoire, une société sans chef et sans modèle puisque sans fondateur identifié […] La terre est commune aux habitants, qui « sont tous libres et égaux ». « Ils sont presque tous bergers et laboureurs » et « n’ont appris la sagesse qu’en étudiant la simple nature ». […] Luxe et monnaie sont ignorés ; les richesses demeurent inexploitées ; il n’y a ni corruption ni esclavage possible. […] La Bétique réinvente l’âge d’or. » 3

   Dans la continuité de ce mythe antique de l’âge d’or, nombre de philosophes des Lumières ont d’ailleurs une réflexion sur  « l’état de nature » des êtres humains . Ils caractérisent cet « état » comme une sorte d’état mythique de l’humanité, préexistant à la société, et où les rapports entre les individus et avec leur environnement étaient harmonieux et égalitaires.

   De plus, « La réflexion autour d’un mythique état de nature suscite la vogue de l’indigénisme » 4 ou du mythe du bon sauvage. Par exemple, « Chez Voltaire, celle-ci sert de moyen pour dénoncer la misère et l’injustice, la morgue et l’obscurantisme de la civilisation européenne. »5

    L’indigénisme est aussi lié, tout comme à l’époque de More , aux voyages, aux découvertes permises par le développement du commerce mondial européen et de la colonisation. Les récits de voyage sont alors encore plus nombreux qu’aux époques précédentes, ils nourrissent les fantasmes et ces mythes de l’état de nature ou du bon sauvage6.

   Comme le note Roger-Michel Allemand :

« La représentation d’une humanité primitive relève d’un parti pris contre le luxe et les faux besoins d’une société surtout préoccupée de s’enrichir sur le plan matériel. » 7

    D’ailleurs, ce mythe d’un état naturel de l’humanité inspire aussi les œuvres les plus radicales qui envisagent clairement une nouvelle organisation sociale. On le retrouve dans les œuvres de Etienne Gabriel Morelly (1717- 1778-82?), l’un des précurseurs du socialisme et du communisme.Son ouvrage Code de la nature (1755), véritable traité politique, pose les principes d’un nouveau monde où la propriété a été abolie:

« Rien dans la société n’appartiendra singulièrement ni en propriété à personne que les choses dont il fera un usage actuel, soit pour ses besoins, ses plaisirs ou son travail journalier […] » .8

« Ce traité philosophique part du principe que « le progrès est la loi générale de la nature » […] Paradoxalement, il énonce que la loi du progrès consiste à revenir à l’amour et à l’affection que se portaient réciproquement les premiers hommes. »9

   Enfin, au XVIIIe siècle, le cadre des utopies littéraires et fictionnelles ne se restreint plus seulement à un ailleurs imaginaire ou géographique. En effet, certains auteurs commencent à projeter leurs désirs présents dans un futur plus ou moins proche. Ainsi, naît le roman d’anticipation avec des œuvres comme l’An 2440, rêve si il n’en fut jamais (1771) de Louis Sébastien Mercier .

   Dans cet ouvrage l’auteur décrit les nouvelles mœurs de la société française, il s’intéresse notamment aux institutions judiciaires et remet en question une justice basée sur le châtiment et la punition, et qui ne s’applique qu’en faveur des riches au détriment des plus pauvres.

Bâtir la cité idéale

 

    Au XVIIIe siècle, l’utopie des Lumières inspire aussi les architectes. Des cités nouvelles doivent refléter et permettre une meilleure organisation sociale. Les valeurs de liberté, d’égalité, de bonheur, de Raison etc, sont censées s’incarner dans l’architecture des bâtiments et la conception des cités.

   L’architecte Claude-Nicolas Ledoux, imagine notamment la ville idéale de Chaux qui ne sera finalement jamais construite. Cette ville, au delà d’être fonctionnelle, devait aussi être l’écho et le moteur de rapports sociaux plus égalitaires :

« Pour la première fois on verra sur la même échelle la magnificence de la guinguette et du palais. »10

Une partie des projets, croquis , plans et images de la cité de Chaux ainsi que des dossiers sur Ledoux et son oeuvre sont dispos ici sur le site passerelles-essentiels de la BNF, dédié à l’histoire de la construction et aux métiers du bâtiment et des travaux publiques:

   On voit donc que l’utopie, en tant que critique, désir et imaginaire, ne se contente pas de littérature ou de philosophie mais investit nombre d’espace. Or, la ville est un espace très concret en tant que produit et partie de l’organisation sociale des êtres humains.

   La ville (qui est le produit historique des systèmes marchands, étatiques et religieux) c’est l’espace où relations de pouvoir, économiques et besoins se matérialisent et s’entremêlent. Imaginer sa transformation c’est donc déjà en partie imaginer concrètement la transformation de toute la société.

Extraits choisis

 

L’Âge d’or revisité par un ancêtre du communisme au XVIIIe siècle

« Ce séjour fortuné étoit la demeure d’un Peuple que l’innocence de ses mœurs rendoit digne de cette riche possession : l’impitoyable Propriété, mère de tous les crimes qui inondent le reste du Monde, leur étoit inconnue : ils regardoient la Terre commune qui présente indistinctement le sein à celui de ses enfants qui se sent pressé de la faim : tous se croyoient obligés de contribuer à la rendre fertile ; 

mais personne ne disoit, voici mon champ, mon bœuf, ma demeure. Le laboureur voyoit d’un œil tranquile, un autre moissonner ce qu’il avoit ensemencé, et trouvoit dans une autre contrée de quoi satisfaire abondamment à ses besoins. 

Tous s’empressent point l’ouvrir ; chacun y puise, selon ses besoins, sans s’inquitéter si un autre en prend plus que lui. Des voyageurs qui étanchent leur soif à une source, ne portent point d’envie à qui, pressé d’une ardeur plus grande, avale à longs traits plusieurs vases de cette liqueur rafraichissante.

Veut-on élargir les bords de cette sources précieuse ? Plusieurs bras réunis l’exécutent sans peine, & leur travail est libéralement récompensé : il en est de même des dons de la Nature. Telles étoient les premières maximes de cette Société heureuse : nul ne se croyoit dispensé d’un travail que le concert & l’unanimité rendoient amusant & facile. »

Etienne Gabriel Morelly, Le Naufrage des isles flottantes ou Basiliade du célèbre Pilpai,, « poème héroïque traduit de l’indien par Mr**** », 1753

Justice et peine capitale dans le Paris du XXVe siècle

 

« Je vis la même date 2440 fidèlement empreinte sur tous les papiers publics. Tout étoit changé. Tous ces quartiers qui m’étoient si connus, se présentoient à moi sous une forme différente et récemment embellie.

« Je demandai à l’un d’eux pourquoi on sonnoit ces cloches funebres & quel accident étoit arrivé ?

Un des plus terribles, me répondit-il en gémissant. Notre justice est forcée de condamner aujourd’hui un de nos concitoyens à perdre la vie, dont il s’est rendu indigne en trempant une main homicide dans le sang de son frère. Il y a plus de trente ans que le soleil n’a éclairé un semblable forfait : il faut qu’il s’expie avant la fin du jour. […]

Le coupable, loin d’être traîné d’une manière qui donne à la justice un air bas & ignoble ne sera pas même enchaîné. Eh ! Pourquoi ses mains seroient-elles chargées de fers, lorsqu’il se livre volontairement à la mort ! La Justice a bien le droit de le condamner à perdre la vie, mais elle n’a pas le droit de lui imprimer la marque de l’esclavage.  […]

Après que le chef du Sénat eut achevé la lecture, il tendit la main au criminel & daigna le relever, en lui disant :

«  il ne vous reste plus qu’à mourir avec fermeté, pour obtenir votre pardon de Dieu et des hommes. Il vous est encore permis de choisir : si vous voulez vivre, vous vivrez, mais dans l’opprobre et chargé de notre indignation. […] Soyez équitables envers la société, & jugez-vous vous-même ! »

Le criminel fit un signe de tête, par lequel il signifioit qu’il se jugeoit digne de mort. […] Il cessa d’être traité en coupable.

On releva le corps de l’infortuné ; son crime étant pleinement expié par la mort,il rentrait dans la classe des citoyens […] Tout attendri, tout pénétré, je disois à mon voisin : Ô ! Que l’humanité est respectée parmi vous ! La mort d’un citoyen est un deuil universel pour la patrie !

C’est que nos loix me répondit-il, sont sages et humaines : elles penchent vers la réformation plutôt que vers le châtiment ; & le moyen d’épouvanter le crime n’est point de rendre la punition commune, mais formidable. Nous avons soin de prévenir les crimes : nous avons des lieux destinés à la solitude, où les coupables ont auprès d’eux des gens qui leur inspirent le repentir, qui amollissent peu à peu leur cœur endurci, qui l’ouvrent par degré aux charmes purs de la vertu, dont les attrait se font sentir à l’homme le plus dépravé.

Vos loix pénales étoient toutes faites en faveur des riches, toutes imposées sur la tête du pauvre. […] Au lieu de soulager, ces liens déchirèrent, & la plaintive humanité jetant un cri de douleur, vit trop tard que les tortures des bourreaux n’inspirèrent jamais la vertu. »

Louis-Sébastien Mercier, L’An 2440, Rêve s’il en fut jamais , 1771,

Sources :

+Roger-Michel Allemand, L’utopie, Ellipses éditions, 2005

+Collectif- Antoine Hatzenberger (dir.), Utopies des Lumières, ENS éditions, 2010, https://books.openedition.org/enseditions/4290

+Etienne Gabriel Morelly, Le Naufrage des isles flottantes ou Basiliade du célèbre Pilpai,, « poème héroïque traduit de l’indien par Mr**** », 1753, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k15151669/f53.item

+Louis-Sébastien Mercier, L’An 2440, Rêve s’il en fut jamais , 1771, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6571684d

+ Frise chronologique des constructions. La ville idéale de Chaux. Site passerelles-essentiels de la BNF

https://passerelles.essentiels.bnf.fr/fr/chronologie/construction/14ada3e6-3aa7-443b-9980-3df0e0116cad-ville-ideale-chaux

Notes :

1 Roger-Michel Allemand, L’utopie, Ellipses éditions, 2005, p.110

2 Collectif- Antoine Hatzenberger (dir.), Utopies des Lumières, ENS éditions, 2010, https://books.openedition.org/enseditions/4290

3 Roger-Michel Allemand, L’utopie, Ellipses éditions, 2005, p. 109

4 Idem, p. 119

5 Idem, p. 119

6 Par exemple Bougainville dans son Voyage autour du monde (1771) :

« Je me croyais transporté au Jardin d’Eden ; nous parcourions une plaine de gazon, couverte de beaux arbres fruitiers qui entretiennent une fraicheur délicieuse, sans aucun des inconvénients qu’entraînent l’humidité. Un peuple nombreux y jouit des trésors que la nature verse à pleine mains sur lui. Nous trouvions des troupes d’hommes et de femmes assises à l’ombre des vergers ; tous nous saluaient en amitié ; ceux que nous rencontrions dans les chemins se rangeaient à côté pour nous laisser passer ; partout nous voyions régner l’hospitalité, le repos, une joie douce et toutes les apparences du bonheur. ». Roger-Michel Allemand, L’utopie, Ellipses éditions, 2005, p.119

7 Idem, p.118

8 Idem, p. 120

9 Idem, p. 120

10 La ville idéale de Chaux, Dossier de la frise chronologique des constructions sur le site passerelles-essentiels de la BNF, https://passerelles.essentiels.bnf.fr/fr/chronologie/construction/14ada3e6-3aa7-443b-9980-3df0e0116cad-ville-ideale-chaux

B-Naissance de l’utopie : L’Utopie de Thomas More

Contexte

  Le début de l’époque moderne (XIVe-XVIe siècles) est marqué par plusieurs changements majeurs dans l’ordre féodal européen. Durant cette période le pouvoir politique et économique des villes croît et par là même le pouvoir d’une certaine bourgeoisie marchande alors en plein développement au détriment de la noblesse et du clergé.

   De plus, c’est une période d’innovation et d’expansion maritime pour les puissances européennes. Celle-ci est marquée par la découverte au XVe siècle d’un « Nouveau monde » : l’Amérique. C’est le début de l’expansion coloniale occidentale et d’une concurrence féroce entre états et empires pour l’hégémonie sur ces nouvelles conquêtes et marchés potentiels.

   Au XVIe siècle commence aussi le mouvement de la réforme protestante qui met à mal le pouvoir temporel et spirituel de l’Eglise catholique. La Réforme protestante accompagne alors diverses luttes sociales et politiques.

   Enfin, cette période est aussi celle de La Renaissance (XIVe-XVIIe siècles), un moment de véritable renouvellement scientifique, artistique et philosophique. C’est la période de l’humanisme qui prônent une certaine idée de la liberté et de la tolérance.

   L’invention de l’utopie en tant que genre littéraire, réflexion et expression politique-philosophique est lié à ce contexte de changements politiques, économiques, scientifique et philosophique.

   En 1516 paraît l’Utopie, ouvrage écrit par Thomas More, intellectuel et homme politique anglais. Cette date marque l’acte de naissance officielle de l’utopie moderne. Dans cet oeuvre le penseur humaniste décrit une société idéale fictive, sur une terre inconnue et inexistante l’île d’Utopia. D’emblée, le texte se pose comme une critique de la société de son temps et notamment du système des enclosures :

« Vos moutons, dis-je, qui avaient coutume d’être si doux et de se contenter de peu, maintenant (à ce qu’ont dit sont si gourmands et méchants qu’ils dévorent même les hommes et gâtent les champs, les maisons et les villes. […] »

« les gentilshommes […] ne se contentent point du revenu et des fruits annuels que leurs terres avaient coutume de générer pour leurs aieux ; aussi ne leur suffit-il pas de vivre grassement sans rien faire et de n’apporter au bien public aucune utilité : Ils nuisent, car ils ne laissent aucune terre pour être labourée, ils enclosent tout en pâturages, démolissent les maisons, ruinent les villes et bourgardes, ne laissant que les églises pour servir d’étables aux moutons. »1

« Par quoi il advient que certains laboureurs, circonvenus par des tromperies ou opprimés par la violence, ou lassés par des injures, sont dépouillés et dénués de leurs terres, ou sont contraints de les vendre afin qu’un avaricieux qui n’a jamais suffisance, et qui est une peste en son pays , augmente son territoire et en un circuit enclose quelques milliers d’arpents de terre. »2

« les paysans qui ont été chassés, en sont réduits au banditisme pour survivre. La propriété privée engendre la pauvreté des plus faibles, qui entraîne la délinquance »3

   En outre, cette charge critique est renforcée par la description d’une société «idéale» censée être l’opposée du régime conspué. Tous les éléments qui constituent une société y sont décrits : famille, ville, institutions politiques et judiciaires, rapports de production, idéologies/religions etc.

Travail et propriété en Utopie

« Ce régime politique est fondé sur l’égalité économique de tous car le gouvernement ne doit pas être une conspiration des riches contre les pauvres . Lors d’une révolution, les propriétaires fonciers ont été dépossédés au profit de la collectivité »4

« Hommes et femmes indifféremment se mêlent du labourage, et il n’y a personne qui n’y participe. Tous et toutes dès leur enfance y sont instruits […] Outre l’agriculture (qui est comme j’ai dit commune à tous), chacun apprend quelque autre art pour être le sien propre. »5

    A noter que, malgré cette activité agricole commune, et bien que les femmes apprennent aussi des métiers, il y a une division sexuelle des tâches dans la société utopienne :

« Mais de ces autres métiers que j’ai nommés, chacun en apprend un, et non pas les hommes seulement mais aussi les femmes, ; comme elles sont plus faibles que les hommes, elles s’appliquent à des choses plus légères, comme à draper et faire les toiles : aux hommes est donnée la charges des travaux plus pénibles. »6

     La société utopienne de More est en effet une société patriarcale que ce soit au niveau de la répartition des tâches et de l’organisation du travail que de la structure familiale. En effet, la cellule de base de cette société imaginaire est une famille patriarcale comprenant parents, grands-parents et familles des fils mariés.

La richesse et l’argent du point de vue Utopien

« Ainsi donc lesdits Utopiens n’usent aucunement de monnaie […] leurs pots à uriner et autres vaisseaux qui servent à choses immondes sont d’or et d’argent ; pareillement les chaînes et gros fers, par lesquels sont détenus et liés leurs criminels, qu’ils appellent serfs sont de cette même matière »7

« O combien de telles sortes de gens sont pourtant éloignés de la félicité de la République des Utopiens ! En banissant de celle-ci tout usage de l’argent, et partant toute avidité, quelle infinité d’ennuis n’en a-t-on pas retranchée ! Quelle semence de vices n’a t-on pas éradiquée! Qui est celui qui ignore que si l’argent était aboli, avec lui seraient anéantis les fraudes, larcins, rapines, procès, tumultes, noises, séditions, meurtres, trahisons et empoisonnements […] Mais croyez bien que si l’argent était aboli en tout lieu, la pauvreté serait soudain diminuée. »8

   On retrouve aussi dans l’oeuvre de More un autre aspect caractéristique des futurs utopies modernes, celui d’une société « harmonieuse » qui s’incarne parfois par une certaine uniformisation de la vie quotidienne et des individus :

« Le collectivisme généralisé touche le domaine privé, voire intime. Les maisons sont toutes semblables, leurs portes restent ouvertes en permanence, leurs fenêtres n’ont pas de rideaux. Nul n’a donc de secret envers les autres. Même l’expérience du bonheur n’est plus individualisée : elle ressortit à la collectivité. »9

    Ainsi More pose les bases d’un modèle littéraire et politique qui fera des émules jusqu’à nos jours. L’ouvrage marque aussi une rupture par rapport aux critiques et aux «pré-utopies» des sociétés antiques-médiévales. En effet, dans l’Utopie, la critique de la société, la volonté et la possibilité de la transformer, ne sont plus d’inspiration religieuse mais essentiellement humaines et politiques car :

« More envisage l’existence du mal non plus uniquement dans son rapport au péché originel, mais sur le plan de la causalité sociale. Il résulte de cette position qu’il n’est plus besoin de l’intervention de la providence divine, ni même de l’hypothèse d’une nature humaine généreuse, pour espérer qu’une société idéale se réalise un jour. »10

Notes :

 

1 Thomas More, L’utopie, Gallimard, Livre I, p.64

2Thomas More, L’utopie, Gallimard, Livre I, p.65

3 Roger-Michel Allemand, L’utopie, Ellipses éditions, 2005, p.81

4 Idem, p.82

5 Thomas More, L’utopie, Gallimard, Livre II, p.115-116

6Idem, Livre II, p. 116

7 Idem, Livre II, p.135-136

8 Idem, Livre II, p. 214-215

9 Roger-Michel Allemand, L’utopie, Ellipses éditions, 2005, p.84

10 Idem, p.81-82

Sources :

Roger-Michel Allemand, L’utopie, Ellipses éditions, 2005. Dispo à la Bibli au rayon Sciences-Socialces : Philosophie

Thomas More, L’utopie, Gallimard, édition de 2012, première parution : 1516; Dispo au rayon Sciences-Socialces : Philosophie

 

Prémices partie II-III : Utopie médiévale et millénarisme

  Contexte

   Le Moyen-âge (Ve-fin Xve siècle) est une période de l’histoire occidentale où se constitue une société féodale religieuse et hiérarchique. Le pouvoir appartient à la noblesse et au clergé (les représentants et garants de la religion). Les seigneurs possèdent la majorité des terres sur lesquelles ils prélèvent l’impôt, au détriment de la paysannerie. Dans ces sociétés, la religion et la morale chrétienne sont hégémoniques, elles sont les références absolues et majoritaires pour comprendre le monde et les rapports de pouvoir.

   A noter aussi que la doctrine chrétienne, du moins certains pans de sa doctrine, pose une forme « d’égalité » entre les personnes. Tous les êtres humains, peu importe leur position sociale, sont théoriquement égaux devant Dieu, face à son jugement omniscient et tout puissant. De même, dès les origines du christianisme, la pauvreté est mise en valeur, tandis que la richesse est relativement critiquée.

   Cette vision du monde chrétienne, ces principes, nourrissent les individus dans leur imaginaires d’une vie plus désirable, particulièrement dans les « basses classes ». Il en va de même lorsqu’il s’agit de lutter pour transformer les rapports sociaux.

   On touche là à l’une des contradiction qui traverse l’histoire des sociétés féodales européennes. Le christianisme est à la fois une doctrine qui peut inspirer des discours « subversifs » mais il a aussi une fonction de légitimation du pouvoir. En effet, le dogme chrétien préconise également la soumission aux autorités terrestres. De plus, le clergé et la noblesse, au cours de leur constitution en tant que classe dominante, n’ont eu de cesse de s’arroger le pouvoir de représentation du divin et des rites.

Le millénarisme

  C’est dans ce contexte féodal et religieux qu’apparaît le millénarisme chrétien :

« Greffé sur la tradition apocalyptique, [le millénarisme] correspond […] à l’attente optimiste d’un règne de mille ans sous la férule du Christ revenu sur terre avant le jugement dernier, […], à l’espoir de l’avènement d’un ordre parfait qui renoue avec le paradis perdu, dispensateur d’un bonheur éternel. »1

   Beaucoup de mouvements millénaristes se développent en Europe durant le moyen-âge. Ces hérésies sont perçues comme des menaces par les autorités du fait de leurs doctrines plus ou moins égalitaristes et subversives.

   On peut notamment penser à Joachim de Flore (vers 1135-1202), moine millénariste dont les vues seront condamnées par l’Eglise au milieu du XIIIe siècle :

« D’après lui, le moment approche où l’Histoire va basculer et ouvrir l’ère du Saint-Esprit, où le règne de la justice sera garanti par les ordres monastiques »2.

« la pensée de Joachim de Flore a influencé […] une grande part de la spiritualité européenne, ainsi que nombre de mouvements religieux hérétiques tels les hussites et les taborites.  Ces derniers prônent la fin des péchés, la disparition des autorités séculières et la suppression des impôts. »

  Certains de ces mouvements religieux, en s’inspirant des idées les plus radicales véhiculés par les textes chrétiens, remettent donc en cause le pouvoir des seigneurs et des clercs. Certains d’entre eux, parmi les plus populaires et radicaux, prennent parfois les armes contres les autorités nobles et religieuses. Lors de ces luttes, ils rêvent et expérimentent d’autres manières de vivre que celles permises par l’ordre féodal.

   C’est le cas des taborites précédemment cités. Ces derniers participent activement aux guerres hussites. Ces guerres sont une lutte politique, sociale et religieuse, ayant eu lieu de 1420 à 1434 en Bohème (une partie de l’actuelle Tchéquie). Elles opposaient les féodaux alliés à l’Eglise et les partisans du théologien et réformateur Jean Hus ; des hérétiques souhaitant des réformes religieuses, politiques et sociales.

   Les taborites fondent la place forte de Tabor en 1420. Dans cette communauté, ils tentent de réaliser leurs principes comme le raconte Kenneth Rexroth  dans son ouvrage Le Communalisme :

« Quand la communauté fut créée (il en alla de même quand des communautés s’en inspirant furent établies en d’autre lieux), de grosses citernes furent installées au centre de la ville, les gens vendirent tous leurs biens et placèrent l’argent et leurs bijoux, s’ils en avaient, dans ces citernes et y mirent aussi leurs revenus, qu’ils gagnaient apparemment en exerçant comme auparavant leurs anciens métiers. La richesse ainsi accumulée fut répartie équitablement entre tous les citoyens de la communauté. »

« Avec la poursuite des guerres hussites, cette richesse fut augmentée par le pillage. […] Présenté par les historiens postérieurs hostiles, cela ressemble beaucoup à du « communisme de brigandage » […] Cependant, la vie à Tabor et dans les autres communautés se stabilisa pour aboutir à un communisme productif plus ou moins « ordinaire ». »

« Leur millénarisme extrême est sans égal dans l’histoire de la dissidence. «

« Après une destruction générale, comparable à celle de Sodome et Gomorrhe, le Christ apparaîtrait au sommet d’une montagne et célébrerait la venue de son royaume par un grand banquet messianique de tous les fidèles. »

« Entre temps les taborites anticipaient cette communion des saints en organisant de grandes rencontres sur les collines et les montagnes environnantes où l’Eucharistie devint une agapè (fête communautaire) de masse, présidée par les chefs militaires et religieux […]. »

« Dans le royaume, tous les sacrements et les rites devaient être supprimés et remplacés par la présence du Christ et du Saint-esprit et toutes les lois abolies. »

« La vie à Tàbor devait être auréolée d’une gloire particulière, celle d’une société transfigurée, où l’existence était vécue à un degré d’exaltation proche de la folie. La communion avait lieu chaque jour, réunissant des milliers de gens qui chantaient en cœur dans les champs.

« Quand les soldats de la foi rentraient triomphants, chargés de butin et de trophées, telles les tentes luxueuses prises aux cardinaux et aux rois en campagne, ils traversaient une foule extatique qui dansait dans la rue. »3

   D’autres sources que la religion chrétienne ou la croyance dans le millenium alimente en parallèle les projets d’une vie plus douce ou d’une société meilleure. Vieux mythes gréco-latins réactualisés, pays imaginaires, cités métaphoriques et espérées, alimentent les imaginaires médiévaux au fil des siècles. Les supports de « l’utopie » médiévale sont alors multiples : poèmes, tradition orale, ouvrages savants, récits de voyage etc.

Les voyages

Au Moyen âge les terres inconnues, ou celles que l’on commence à découvrir ou à redécouvrir, comme l’Asie ou l’Inde alimentent toujours les mythes et les imaginaires. Les voyages de certains explorateurs, marchands et marins amènent aussi à des contacts avec d’autres peuples et cultures. Ces contacts réalimentent de vieux mythes gréco-latins notamment le mythe de l’Âge d’or :

« On rejoint aussi le mythe hésodien d’une humanité première innocente et heureuse : se répand l’image de peuples indiens vertueux, qui perdure jusqu’à la Renaissance […]. Dans Songe du vieil pèlerin, de Philippe de Mézières, les Bragamains ignoraient le concept et l’expérience de la propriété […]4

Ces sociétés « autres » alimentent donc les fantasmes des voyageurs européens. Mais, elles permettent également aux voyageurs de porter un regard comparé sur le fonctionnement des sociétés européennes :

«Pareillement, Polo fait état, chez les Indiens, d’une vie exempte des freins de la pudeur et affranchie des interdits alors attachés au corps par la tradition judéo-chrétienne. »5

Le Pays de Cocagne

« Par mets et par vins, le pays de Cocagne est une utopie européenne médiévale, ce serait même, pour Jacques Le Goff, « la seule véritable utopie médiévale». Si le terme cocagne apparaît dans nos sources au xiie siècle sous la forme latine « abbas Cucaniensis » dans les Carmina Burana, il faut attendre le xiiie siècle pour connaître la première version manuscrite décrivant un pays de Cocagne parvenue jusqu’à nous : le Fabliau de Coquaigne, un texte français originaire de Picardie ».6

« L’essentiel d’une utopie fondamentalement matérialiste et permissive y est fixé : une nature généreuse, l’abondance de la nourriture et des boissons, le refus du travail et de tout acte marchand, un temps festif perpétuel, la liberté sexuelle, la recherche du seul plaisir. »7

   Dans cette utopie:

« Le référent […] majeur n’est pas la description du paradis terrestre mais l’inversion des conséquences du péché originel. »8

« L’église comme les représentants du système féodal […] ont été escamotés au passage : clergé, seigneurs et autres instances du gouvernement ne détiennent plus aucun pouvoir ni spirituel, ni temporel […] Cocagne est une revanche des pauvres et s’inscrit dans ce que Le Goff dit du merveilleux médiéval, qui a d’abord une « fonction compensatrice, dans un monde de réalités dures et de violence, de pénurie et de répression ecclésiastique ».9

Extraits du fabliau de Coquaigne (XIIIe siècle) 

« Li païs a à non Coquaigne, « Il y a un pays qui a pour nom Cocagne

Qui plus i dort, plus i gaaigne,  Qui plus y dort, plus y gagne ,

Cil qui dort juqu’à miedi, Celui qui dort jusqu’à midi ,

Gaaigne cinc sols et demi » Gagne cinq sols et demi »

(v. 28-30)

« Et s’il avient par aventure « Et s’il advient par aventure

Qu’une Dame mete sa cure Qu’une dame mette son souci (s’intéresse)

A un home que ele voie, À un homme qu’elle voit,

Ele le prent en mi la voie Elle le prend au milieu de la rue

Et si en fait sa volonté. Et en fait sa volonté.

Ainsi fet l’uns l’autre bonté » Ainsi chacun se fait plaisir l’un à l’autre »

(v. 117-122).

Le pays de Cocagne, estampe, 1630

 

« Il y a un pays par delà l’Allemaigne,

Abondant en tout biens qu’on appelle Cucaigne,

Ou chacun sans rien faire en tout téps viure peut,

Et avoir des habits sans argent, tels qu’il veut.

Sans suer, ni peiner on a ce qu’on souhaite,

Ceux qui ayment travail de ces lieux on rejette,

Faineans paresseux y sont les biens venus,

Et de ce qu’il leur faut tres-bien entretenuz,

Ils croient qu’ils sont la au paradis terrestre,

Et ne voudroient pour rien en autre pays estre,

On peut on estre mieux qu’en lieu ou sans peiner,

On ne fait que gaudir, boire et disner, »10

La Cité des Dames

   La Cité des Dames est créée par Christine de Pizan, une femme lettrée, vivant de ses productions intellectuelles, chose rare à l’époque.

   Dans ce récit, l’autrice invente une cité imaginaire, allégorique, exclusivement féminine, qu’elle bâtit inspirée par trois figures : la Raison, la Justice et la Droiture. Cet espace symbolique permet à de Pizan de critiquer la vision misogyne des hommes de son temps et de remettre en question la place subalterne de la femme dans la société médiévale :

«   Ainsi, ma chère enfant, c’est à toi entre toutes les femmes que revient le privilège de faire et de bâtir la Cité des Dames. Et, pour accomplir cette œuvre, tu prendras et puiseras l’eau vive en nous trois, comme en une source claire ; nous te livrerons des matériaux plus durs et plus résistants que n’est le marbre massif avant d’être cimenté. Ainsi ta Cité sera d’une beauté sans pareille et demeurera éternellement en ce monde. »

«  Vous toutes qui aimez la vertu, la gloire et la renommée y serez accueillies dans les plus grands honneurs, car elle a été fondée et construite pour toutes les femmes honorables – celles de jadis, celles d’aujourd’hui et celles de demain.

[…] cette nouvelle Cité qui, si vous en prenez soin, sera pour vous toutes (c’est-à-dire les femmes de bien) non seulement un refuge, mais un rempart pour vous défendre des attaques de vos ennemis.

Enfin, vous toutes, mesdames, femmes de grande, de moyenne ou d’humble condition, avant toute chose restez sur vos gardes et soyez vigilantes pour vous défendre contre les ennemis de votre honneur et de votre vertu.

« Voyez, chères amies, comme de toutes parts ces hommes vous accusent des pires défauts ! Démasquez leur imposture par l’éclat de votre vertu ; en faisant le bien, convainquez de mensonge tout ceux qui vous calomnient .»11

Sources :

Roger-Michel Allemand, L’utopie ,Ellipses éditions, 2005,

Florent Quellier, Le pays de Cocagne, un texte voyageur du Moyen Âge aux Temps modernes, https://books.openedition.org/pur/143649

https://une-histoire-de-lutopie.edel.univ-poitiers.fr/exhibits/show/sources/sources-medievales/cocagne.html

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8402150x.r=cocagne.langFR

Špela ŽAKELJ, La subjectivité littéraire dans La Cité des Dames, revue Voies Actuelles, 2011 https://journals.library.brocku.ca/index.php/voixplurielles/article/view/451

Notes :

1 Roger-Michel Allemand, L’utopie Ellipses éditions, 2005, p.52-53

2 p.54

3 Kenneth Rexroth, Le communalisme : les communautés affinitaires et dissidentes, des origines jusqu’au Xxe siècle, L’Insomniaque, 1974 (1ère parution), 2019, p.109-113

4 Roger-Michel Allemand, L’utopie Ellipses éditions, 2005, p.58

5 Idem p.58

6 Florent Quellier,Le pays de Cocagne, un texte voyageur du Moyen Âge aux Temps modernes, https://books.openedition.org/pur/143649 ,

7 Idem

8 Idem

9 Roger-Michel Allemand, L’utopie, Ellipses éditions, 2005, p.61

A-Prémices : Mythes et religions

  Mythes et religions sont parmi les premiers systèmes d’interprétation et de rapports au monde des êtres humains, c’est donc en leur sein qu’il faut rechercher les prémices de l’utopie. Pour Roger Michel-Allemand :

« C’est dans l’Univers clos et générateur de la Méditerranée que l’utopie occidentale est née. Selon la représentation antique, la Terre était globalement plane et circulaire, entourée par le fleuve Océanos, si bien que le marin risquait de tomber dans le néant s’il s’aventurait trop loin des côtes, près des bords où l’océan reflue. »1

« L’utopie grecque est toujours limitée dans l’espace à l’image de la société à laquelle elle correspond. Apparue à la fin des « Siècles obscurs » (du XIIe au IXe siècles av. JC), la Cité est en effet l’unité politique typique de la Grèce Antique. » 2

   Dans le monde méditerranéen antique, les techniques de navigation et les connaissances du monde sont limitées. Les îles, la cité, les terres inconnues et le voyage entretiennent donc une relation particulière avec les mythes et représentations des sociétés antiques. Ces représentations, cet espace géographique, cosmogonique et politique nourriront pendant longtemps les formes et contenus des utopies.

   D’autres mythes du monde gréco-latin peuvent nous éclairer sur les origines de l’utopie. En témoigne le mythe de l’âge d’or :

«[…] le mythe de l’âge d’or proprement dit, tributaire de la Grèce archaïque apparaît en littérature chez Hésiode (Les travaux et les Jours, v. 109-126). […] La première humanité est d’or : parangon de justice et de piété, elle jouit d’une durable jeunesse, que n’assombrissent ni les passions, ni les soucis. Gaïa fournit tous ses fruits en abondance, qui alimentent de perpétuels festins. La mort elle même se saisit des êtres avec douceur, puisqu’elle consiste en un paisible endormissement indolore. »3

« A l’opposé, Hésiode situe ses contemporains dans le cinquième Âge, la race de fer, qui est marqué par les maux (la boite de Pandore), la nécessité du travail, et l’alternative entre le mal et le le bien, rendue indispensable par l’extension du crime et de l’avidité. »4

Le mythe antique de l’âge d’or selon le poète antique Ovide :

« L’âge d’or naquit le premier, qui, sans répression, sans lois, pratiquait de lui-même la bonne foi et la vertu. On ignorait les châtiments et la crainte ; des écrits menaçants ne se lisaient point sur le bronze affiché en public ; la foule suppliante ne tremblait pas en présence de son juge ; un redresseur des torts était inutile à sa sécurité. […] »

« Jamais encore des fossés profonds n’entouraient les cités; point de trompettes au long col, point de cors recourbés pour faire résonner le bronze; point de casques, point d’épées; sans avoir besoin de soldats, les nations passaient au sein de la paix une vie de doux loisirs. »

« La terre aussi, libre de redevances, sans être violée par le hoyau, ni blessée par la charrue, donnait tout d’elle-même ; contents des aliments qu’elle produisait sans contrainte, les hommes cueillaient les fruits de l’arbousier, les fraises des montagnes, les cornouilles, les mûres qui pendent aux ronces épineuses et les glands tombés de l’arbre de Jupiter aux larges ramures ».

« Le printemps était éternel et les paisibles zéphyrs caressaient de leurs tièdes haleines les fleurs nées sans semence. Bientôt après, la terre, que nul n’avait labourée, se couvrait de moissons; les champs, sans culture, jaunissaient sous les lourds épis ; alors des fleuves de lait, des fleuves de nectar coulaient çà et là et l’yeuse au vert feuillage distillait le miel blond. »5

   On peut noter que, déjà, chez certains penseurs grecs, mythe et volonté de réforme politique vont de pair. Par exemple chez Platon :

« En revanche dans la République , le philosophe reformule la signification allégorique du mythe [de l’âge d’or] : la race d’or des magistrats est comme destinée, par sa supériorité intellectuelle à diriger les deux autres races de la cité  […] »6

    Un des autres mythes importants, lorsqu’il s’agit de se représenter un monde et une situation meilleure, est celui du Paradis. Mythe que l’on retrouve dans les religions abrahamiques (judaïsme, christianisme, Islam). Dans la Genèse, le jardin d’éden est le lieu d’origine de l’humanité dont a été chassé l’homme pour ses pêchés, c’est un paradis perdu. Mais le paradis, notamment dans le christianisme ou l’islam est aussi le lieu de repos où vont les croyants après leur mort, c’est un endroit sans souffrance, un lieu de béatitude.

Le Jardin d’Eden dans la Bible :

«Puis l’Éternel Dieu planta un jardin en Éden, du côté de l’orient, et il y mit l’homme qu’il avait formé.

L’Éternel Dieu fit pousser du sol des arbres de toute espèce, agréables à voir et bons à manger, et l’arbre de la vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal.

Un fleuve sortait d’Éden pour arroser le jardin, et de là il se divisait en quatre bras.

L’Éternel Dieu prit l’homme, et le plaça dans le jardin d’Éden pour le cultiver et pour le garder.

L’Éternel Dieu donna cet ordre à l’homme: Tu pourras manger de tous les arbres du jardin; mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras.

L’Éternel Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise de l’homme, et il l’amena vers l’homme.

[…]

L’homme et sa femme étaient tous deux nus, et ils n’en avaient point honte. » 7

Sources :

Roger-Michel Allemand, L’utopie Ellipses éditions, 2005. Dispo à la Bibli au rayon Sciences Sociales-Philosohpie

Notes :

1 Roger-Michel Allemand, L’utopie Ellipses éditions, 2005, p. 25

2 p.28

3 p.33-34

4 p. 35-36

5 Ovide Les Métamorphoses, 2 ap. JC. Paris, Les Belles lettres, 1985,(Traduction de G. Lafaye,

6 p.36

7 Genèse 2

 

Enragés et curés rouges en 1793, Maurice Dommanget // Le curé rouge, Dominic Rousseau

Maurice Dommanget, Enragés et curés rouges en 1793: Jacques Roux Pierre Dolivier, Spartacus, 1993, 172 p. Dispo au rayon Luttes-Révoltes-Révolutions : France

 

 

Dominic Rousseau, Le curé rouge: Vie et mort de Jacques Roux, Spartacus, 2013, 220 p. Dispo au rayon Luttes, Révoltes, Révolutions : France

1) Présentation et résumés

 Ces bouquins, écrits par Dominic Rousseau et Maurice Dommanget, sont des biographies centrées sur deux acteurs de la révolution française : Jacques Roux (1752-1794) et Pierre Dolivier (1746-1830). Tous les deux prêtres, figures des courants les plus radicaux de la révolution, ils font partie du groupe des « curés rouges », appellation développée à posteriori, surtout par l’historiographie plus ou moins socialiste et révolutionnaire des XIXe et XXe siècles.

Mais, quelle réalité recouvre ce terme de « curés rouges »? Cette expression est peu connue et plutôt antinomique au premier abord. En particulier quant on pense au rôle contre-émancipateur de la religion et des différents clergés dans l’histoire humaine. D’emblée, comme l’exprime Dominic Rousseau, on peut dire que la définition de ce « groupe » socio-politique est plutôt complexe et anachronique. En effet, rien que le terme « rouge » pose question, cette couleur est symboliquement associée aux révolutions et au socialisme du XIXe siècle, mais pas ou peu à la révolution française. On peut tout de même définir quelques aspects de ce groupe en citant les travaux des historiens. Pour Serge Bianchi, dès 1789, on compte environ 2500 de ces membres du clergé, ils sont en contact avec des sociétés populaires1 et adhèrent à la révolution dont ils estiment les principes en adéquation avec leurs idéaux humanistes. Plus tard, en l’an II de la République (1793-1794)2, ils abdiquent, rompent avec l’Eglise et font preuve d’un anticléricalisme virulent. Quant à Maurice Dommanget, l’auteur de l’un des deux ouvrages, il présente les prêtres rouges comme des hommes majoritairement jeunes lors de l’éclatement révolutionnaire. Des hommes d’action plus que de « réflexion »0 qui souhaitent une révolution pour les plus pauvres, les moins biens lotis de la société. On peut aussi dire que l’on trouve majoritairement ces prêtres dans les plaines agricoles du grand bassin parisien et qu’ils luttent souvent au côté des paysans.

En fait, l’existence de ces « prêtres rouges » s’explique en partie par le contexte social et culturel de la société d’Ancien-régime. Tout d’abord, les idées chrétiennes, plus ou moins teintées d’un certain égalitarisme, peuvent être source de réflexion vis à vis de l’organisation de la société et le ferment de valeurs sociales profondes. De plus, certains membres du clergé, ayant un certain niveau d’éducation, sont aussi sensibles aux idées nouvelles des Lumières. Porteuses d’un certain rationalisme et matérialisme, ces idées remettent en question le rôle de la religion, l’organisation de la société d’ancien régime. Elles souhaitent un nouvel transformer et interpréter différemment le monde humain et « naturel » en général.

Ensuite, le clergé, qui constitue l’un des trois ordres de la société, n’est pas un bloc socialement homogène. Il y a de nombreuses différences entre ses membres et notamment entre ce qu’on appelle le haut-clergé (dont les membres sont souvent issus ou liés à la noblesse) et le bas-clergé. Les conditions de vie de ces deux catégories sociales sont, en effet, loin d’être comparables… Qui plus est, certains membres du bas-clergé, comme les curés de campagnes, sont répartis dans tout le royaume et sont souvent en contact avec les couches les plus pauvres de la population, notamment la paysannerie. Ils sont alors au première loge en tant qu’observateurs de la vie paysanne et connaissent très bien l’exploitation et les injustices qui frappent les paysans dont ils sont parfois socialement plus proches.

En conséquence, en partie parce qu’ils sont issus d’un milieu rural, certains prêtres n’hésitent pas à porter les positons parmi les plus radicales lors de la révolution française, par exemple sur la question de la propriété agraire. C’est le cas de Pierre Dolivier, curé de Mauchamps de 1784 à 1793-94, qui fait preuve d’idées égalitaristes très agrariennes. Ce dernier, dans son Essai sur la justice primitive publié en juillet 1793, critique la propriété et estime qu’elle doit être limitée. Il s’oppose à la concentration des terres entre quelques mains et pense que la propriété foncière ne doit pas être transmise par héritage mais gérer par les communes. Il se dresse donc contre l’un des piliers du système féodal. Il souligne aussi l’hypocrisie de l’égalité et de la liberté juridique quand il n’y a pas d’égalité de fait, on pourrait dire d’égalité sociale. Toutes ces positions lui vaudront d’ailleurs d’être remarqué par Gracchus Babeuf. Celui-ci a d’ailleurs une pensée pour lui dans son projet de conjuration des égaux devant mettre à bas la première des républiques bourgeoises en France3.

Jacques Roux, quant à lui, est surtout connu pour son expérience parisienne et pour avoir été l’un des chefs de file de ce qu’on a appelé Les Enragés4, l’une des « tendances » parmi les plus radicales de la Révolution. Plus agitateur, que théoricien, Roux dénonce les conditions de vie misérables des plus pauvres auxquelles la révolution n’a pas changer grand chose. En parallèle, il s’attaque, à travers ses écrits, ses prêches et ses prises de parole dans diverses assemblées de clubs et de quartiers, aux « accapareurs » et aux « agioteurs »5. Il les juge en effet responsables de la misère du peuple. Plus que des problèmes de production et de propriété, il critique davantage les problèmes de répartition et de subsistances.

Bien qu’il ne fait pas partie des leaders sans-culottes, ses prises se position auront de l’influence dans la sans-culotterie parisienne et parmi les basses classes de la capitale. D’ailleurs, il encourage souvent l’action des sections6 et l’action directe que ce soit lors de pillages ou d’émeutes. Ainsi, son égalitarisme se teinte aussi d’un certain antiparlementarisme. Ses critiques, il les formule devant la convention nationale, dans un texte passé à la postérité sous le nom de Manifeste des Enragés. Ce texte remet en cause la constitution de l’an I alors adoptée qu’il n’estime pas assez sociale. Il y critique l’action des parlementaires, perçue comme insuffisante pour réaliser le bonheur du peuple. Tout comme Dolivier, il dénonce l’égalité juridique qui n’est qu’illusion sans égalité de fait…

Cette intervention amorce sa chute. Les Montagnards-jacobins, considérés comme l’aile gauche de la convention et longtemps comme les alliés des sans-culottes radicaux, ne lui pardonnent pas sa critique et son agitation extrémistes. Ces derniers la jugent contre-productive, faisant le jeu de la contre-révolution car opposant les intérêts du peuple et de ses représentants qui siègent à la convention et aux Comités. C’est-à-dire les montagnards comme Robespierre ou Marat.

Dès lors, les Enragés, n’ayant cessé de réclamer la Terreur contre les « accapareurs », les aristocrates et les nouveaux nantis de la révolution, en sont parmi les premières victimes… Arrêté en août puis en septembre 1793, Jacques Roux se suicide en février 1794 pour éviter un procès au tribunal révolutionnaire qu’il sait perdu d’avance. En parallèle, les autres Enragés sont aussi réprimés ou abandonnent la lutte sous la pression. Par conséquent, un des premiers courant radical issue de la révolution est étouffé par une partie des jacobins, qui s’estimaient eux-même être les défenseurs les plus hardis de l’égalité. Valeur et concept encore nouveau qu’on a alors grand peine à théoriser et encore moins à mettre en pratique.

2) Intérêts et « limites »

Ces deux bouquins ont bien des mérites et aussi quelques faiblesses. Au niveau des « faiblesses », on peut parler du genre biographique qui n’est jamais facile et n’est pas du goût de tout le monde. Ce type d’écrit induit souvent un style un peu « romancé » et donc forcément variable en fonction des « capacités » littéraires de l’auteur. De même, les plus pointilleux jugent souvent la biographie forcément « partiale » et pas très carré au niveau de la méthode. Pour ce qui est du bouquin de Rousseau on peut trouver un peu de ces défauts. Il n’en reste pas moins que la lecture en est plutôt agréable et que l’auteur ne se contente pas de nous décrire les péripéties de la vie de Jacques Roux mais convoque à plusieurs reprises l’analyse de divers historiens. Pour ce qui est de l’ouvrage de Dommanget, il s’agit d’une compilation de deux notices biographiques. Le bouquin dispose aussi d’annexes qui complètent bien l’ensemble pour la compréhension du sujet. De plus, il n’est pas toujours tendre avec ses personnages ce qui est toujours plaisant! Le seul hic est que l’auteur, de tradition syndicaliste et communiste, qualifie parfois de plus ou moins socialiste la pensée de Roux. Or il fait ici preuve d’anachronisme puisque le socialisme vient après et n’est certainement pas théorisé et conceptualisé par les acteurs dont il est question.

Au niveau des mérites maintenant. Premièrement, réaliser des travaux et ouvrages sur les curés rouges et les Enragés, est déjà une qualité en soi car ils sont relativement peu connus. De même, ce taf permet de mieux appréhender la position sociale et le rôle d’une partie du clergé à l’aube et durant la révolution. Tout cela permet d’enrichir les productions et les connaissances sur ce moment fondateur de nos sociétés modernes qu’est la révolution française. Révolution dont l’état français actuel entretient toujours le mythe, factice et orienté, que ce soit via les programmes scolaires, ses symboles, son idéologie etc, compliquant ainsi une lecture potentiellement émancipatrice de certaines séquences révolutionnaires.

Cela montre aussi, que loin de n’être qu’une révolution bourgeoise (ce qu’elle a certes été dans sa finalité), la révolution française est pétrie de contradictions. Des contradictions qui ne se résument d’ailleurs pas, comme il est parfois présenté, à l’affrontement entre la « liberté » et « l’égalité » que ce soit sur le plan de l’abstraction théorique/politique comme de la conduite des événements. Durant cette séquence historique, il y a eu plusieurs visions de la liberté, plusieurs visions de l’égalité, comme de leurs relations, qui se sont confrontées . De même il y a eu plusieurs manières d’envisager la pratique du pouvoir qui se sont concurrencées et affrontées.

Enfin, au niveau politique et partisan, ce taf permet de découvrir les pensées égalitaires de certains « prêtres rouges » et des Enragés. De même, il permet d’en apprendre plus sur l’une des séquences les plus radicales de la révolution. Ces pratiques et ces pensées annoncent d’une certaine manière Babeuf et les prémices des mouvements communistes, anarchistes et socialistes modernes. Ces luttes s’inscrivent donc totalement dans le combat des dépossédés pour leur émancipation puisqu’elles préfigurent en partie une des principales expressions de ces luttes au XIXe puis Xxe siècles, à savoir le mouvement ouvrier révolutionnaire dans toutes ces tendances, de la plus réformiste à la plus subversive.

1 Plusieurs appellations désignent ces associations de citoyens: clubs, sociétés populaires, sociétés patrioques etc.

Pour une définition plus précise, copié-collé d’une émission de France culture:

En 1789, alors que la France entre en Révolution, une nouvelle forme de sociabilité émerge. En un an, une vingtaine de clubs politiques ou autres sociétés patriotiques s’organisent autour des affinités politiques de leurs membres : Société des amis de la Constitution – futur Club des Jacobins -, Cercle social, club des Cordeliers« À partir de l’été 1789 naît quelque chose de tout à fait nouveau, ‘les révolutions municipales’, c’est-à-dire des comités différents des municipalités, qui s’appuient sur les assemblées de (leurs) électeurs pour les états généraux. Ils créent ces groupes de réflexion qui deviennent des clubs. Il y en a partout, de toutes les opinions possibles et imaginables, pas seulement des clubs patriotes, ce qu’on appelle traditionnellement révolutionnaires, mais aussi des clubs hostiles aux réformes, qui seront des clubs contre-révolutionnaires », décrit l’historien Jean-Clément Martin.

Dès 1790, les sociétés parisiennes et en particulier le club des Jacobins essaiment à travers le territoire. Les sociétés autonomes ou affiliées à une société mère se multiplient et constituent un réseau de relais politiques locaux qui œuvrent à l’information des citoyens et à leur formation politique. Des comités de surveillance locaux apparaissent pour défendre la Révolution.

« En 1791, la loi Le Chapelier interdit de garder les clubs et organisations. Il y a ce creux d’un an ou deux, où la vie politique locale est un peu muselée », explique Jean-Clément Martin. « Ça reprend en 1793 avec la Convention qui a besoin de toutes ces sociétés qu’on appelle ‘populaires’ puis le virage du printemps de 1794, quand Saint-Just estime que les militants des clubs ne sont là que pour le pouvoir. C’est la fin programmée des sociétés populaires, le contrôle complet par le gouvernement, l’État, la Convention. »

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/clubs-et-societes-populaires-la-revolution-prend-parti-2564195

2 Le calendrier républicain fut mis en oeuvre durant la révolution. Il entre en vigueur le 6 octobre 1793 (15 vendémiaire an II) et commence le 22 septembre 1792 ( 1er vandémiaire an I), le lendemain de l’abolition de la monarchie. Il remplace le calendrier grégorien (notre actuel calendrier), se veut universel et doit marquer une rupture avec le christianisme et la monarchie. L’année est découpée en 12 mois de trente jours (360 jours) auquel on rajoute 5 ou 6 jours à la fin de l’année afin de faire correspondre le début de l’année suivante avec l’équinoxe d’automne au méridien de Paris. Le découpage des mois en semaine n’est pas conservée, chaque mois est découpé en décades de 10 jours. Le nom des mois s’inspirent des saisons et des activités agricoles qui leur sont liées. Les saints et martyrs correspondants aux jours sont aussi supprimés et remplacés par des mots évoquant la nature et les activités rurales (des animaux, des plantes, des arbres, des fruits ou des outils agricoles etc).

3 Gracchus Babeuf (1760-1797) est un révolutionnaire français. Entré à la commission des Subsistances de Paris en 1793, il soutient d’abord les jacobins et les montagnards contre les girondins tout en étant partisan des revendications sans-culottes. Il est surtout connu pour être l’un des chefs de l’opposition radicale sous le Directoire après la chute des Enragés, des hébertistes puis des robespierristes. Il organise avec plusieurs de ses camarades une conjuration dites des égaux en 1796 dont le but est le renversement du régime dit du Directoire (un régime libéral qui souhaite en finir avec le processus révolutionnaire) pour continuer la révolution. Pour ses partisans, la révolution doit aboutir à la mise en commun des terres et des moyens de production pour réaliser une égalité réelle. La conjuration est un échec et Babeuf, arrêté en 1796, est guillotiné en 1797. Par ses idées, son analyse et ses pratiques, il est considéré comme l’un des précurseurs du socialisme et du communisme.

4 Les Enragés sont des agitateurs radicaux ayant émergés en 1793. Porteurs de critiques radicales contre les riches, dénonçant les conditions de vies des basses-classes de la capitale, ils agissent de concert avec certains sans-culottes pour porter leurs revendications. Ils n’hésitent pas à encourager et/ou cautioner les soulèvements populaires contre la vie chère comme les émeutes, les pillages, l’action directe des sections sans-culottes. Partisans d’une forme de démocratie directe, ils sont souvent méfiants envers les représentants du peuple, les divers députés et administrations nés du processus révolutionnaire. Ils souhaitent donc que s’exerce un contrôle fort de la part des citoyens sur les institutions et les délégués. Nombre de montagnards et jacobins, s’estimant les représentants légitimes du peuple, souvent porteurs d’un égalitarisme plus modéré, ont vu en eux des concurrents et des agitateurs potentiellement dangereux. Ainsi, ils s’attèlent à les réprimer dès septembre 1793 avec l’arrestation de Jacques Roux. Les Hébertistes, ayant parfois des liens avec les Enragés et considérés comme leurs successeurs en tant que porte-voie d’une révolution radicale, seront à leur tour réprimés par la république montagnarde. Par ailleurs, on donne parfois une description réductrice des Enragés, le terme désignant souvent quelques agitateurs et personnalités ayant plus ou moins de liens entre eux comme Claire Lacombe, Jacques Roux, Jean-françois Varlet, Jean-Théophile Leclerc. Cependant, comme le rappelle Dominic Rousseau qui cite Claude Guillon et Walter Markov (spécialistes des enragés), il est établi que les « Enragés ne se réduisaient pas à trois agitateurs et une agitatrice, mais constituaient la majorité de certaines sections parisiennes » (Claude Guillon, Notre patience est à bout, éditions IMHO, 2009, p.22). Mais il n’en reste pas moins qu’on ne peut pas parler de faction ou de parti à proprement parler concernant ce groupe. Il s’agit plus de personnes partageant des idées et des pratiques communes qui n’ont pas réellement d’unité d’action. On peut aussi noter leurs liens avec la Société des républicaines révolutionnaires, un groupe révolutionnaire féminin porteurs de revendications sociales et féministes radicales pour l’époque. D’ailleurs Jacques Roux lui même est partisan d’une participation massive des femmes aux luttes sociales et politiques. Il y voit un facteur déterminant pour la victoire d’une révolte populaire.

5 Spéculateurs

6 Les sections révolutionnaires sont prmeièrement des subdivisions territoriales de la ville de Paris nées de la révolution. Ne devant à la base se cantonner qu’à un rôle administratif et électoral, elles s’impliquent pourtant dans la politique et acquièrent même un certain pouvoir municipal. Chaque section disposait notamment d’un comité civil, d’un comité révolutionnaire et d’une force armée. Elles jouent aussi un rôle de premier plan lors des journées insurrectionnelles qui rythment et radicalent la révolution. Pour plus d’infos https://fr.wikipedia.org/wiki/Section_r%C3%A9volutionnaire_de_Paris, article dont cette note est tirée.