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RELAX’ TAMPAX ! Récit d’un procès qui n’a (presque) pas eu lieu

I-Il était un 8 mars dans l’Ouest…
Le 8 mars 2023 à Brest, se tenait une journée de mobilisation internationale pour le droit des femmes et des minorités de genre, en plein mouvement social contre la réforme des retraites. Elle fut marquée par une action d’autoréduction dans une supérette Carrefour, décidée par l’AG des luttes Brest. A la fin de la manifestation syndicale des dizaines de camarades s’emparèrent de toutes les protections hygiéniques possibles pour les redistribuer gratuitement par la suite. Les flics, échauffés par leurs échecs répétés à tenter d’empêcher les blocages économiques de la veille et plus tôt dans l’après midi, voulurent siffler la fin de la récréation pour les manifestants les plus déterminés et créatifs. Ils chargèrent, dans la pagaille et la confusion, un cortège d’une centaine de personnes faisant route pour la fac, tels des cow-boys du Far West interpellant 5 personnes au hasard et ramassant au passage les protections périodiques qu’ils pouvaient bien trouver.
 
Les 5 interpellé.e.s, tout au long de la garde-a-vue, demeurèrent solidaires les un.e.s avec les autres en disant tous s’appeler Camille Dupont. Il.elle.s refusèrent de donner leurs empreintes ADN et palmaires, de même ils exercèrent leur droit au silence lors des auditions, à l’exception de l’un.e d’entre elles.eux qui n’avait malheureusement alors pas connaissance de ses droits.
Une heure après les interpellations, suite à une intervention à la sono, une bonne partie de la seconde manifestation féministe de la journée s’avéra solidaire des arrêté.e.s. La manifestation composa alors un cortège de plusieurs centaines de personne venant mettre la pression au commissariat aux cris de « Libérez nos camarades ! ». Après un long face à face, le rassemblement sera finalement dispersé dans les gaz. Cette solidarité directe et active obligea tous les policiers en poste au comico à sortir en ligne pour contenir la foule, rendant difficile la rédaction de PV d’interpellations et de contexte, ce qui se révélera des plus intéressants pour la suite de notre histoire…
24 heures plus tard , 4 des camarades, finalement identifié.e.s par les condés, ressortirent de GaV muni.e.s d’une convocation à paraître au tribunal pour vol en réunion avec visages dissimulés et refus de prise d’empreintes ADN. Une des personnes réussit à sortir sous X et échappa donc aux poursuites.
II- Relax’ y’a Ressac…
Déterminé.e.s à combattre la judiciarisation des pratiques politiques du mouvement, les inculpé.e.s et leurs camarades décidèrent de prendre en main collectivement l’affaire. L’essentiel des éléments retenus à charge était des images de vidéos surveillances 4K de l’intérieur du magasin. Lors de l’action les policiers crurent voir des ressemblances entre les vêtements que portaient des camarades remplissant des paniers de serviettes hygiéniques et les sapes qu’auraient eu les inculpés lors de la garde-à-vue, allant jusqu’à relever des tâches prétendument identiques sur un pantalon. Un simple parapluie devant la caméra aurait probablement évité de longues heures de travail absurdes à s’esquinter les yeux sur la pigmentation des fringues. Ce travail n’avait pour but que de produire des des identification plus que contestables ;  les flics persistaient ainsi dans leur production de matière judiciaire qui ne servait qu’à justifier leurs arrestations après coup. Après une lecture assidue et collective de leur dossier pénal, ne se reconnaissant pas sur les vidéos, pas plus qu’ils ne reconnaissent les faits qui leur étaient reprochés, les inculpé.e.s demandent à l’avocat qu’ils avaient saisi de soulever des nullités dans la procédure (on explique plus bas ce que c’est). En effet de nombreuses pièces manquaient dans leur dossier. Suite aux échanges qui ont eu lieu entre les inculpé.e.s et l’avocat, ce dernier approuva les lignes de défense pensées en collectif.
III-Le procès le plus rapide de l’Ouest
Le jour du procès, une soixantaine de camarades présent.e.s dans la salle d’audience étaient venu.e.s apporter leur soutien aux 4 prévenu.e.s à la barre , refusant qu’on transforme leur lutte collective en une affaire judiciaire par définition dépolitisée et individualisée. L’avocat des prévenu.e.s plaida donc qu’en l’absence de :
1) PV de contexte (procès verbal décrivant le cadre général des événements menant à leur interpellation)
2) PV d’interpellation (procès verbal justifiant pourquoi et expliquant comment le policier arrête un suspect) 
3) PV d’audition des agents interpellateurs (interrogatoire par un OPJ des policiers ayant arrêté les inculpés)
Il était impossible de savoir pour quels motifs et à partir de quels indices (descriptions physiques, comportements suspects…) les camarades avaient été arrêté.e.s ! S’appuyant sur une jurisprudence datée de mars 2023 à propos d’une affaire similaire lors du mouvement des gilets jaunes, l’avocat réclama donc la nullité de toute la procédure, les interpellations étant irrecevables.
Le procureur prit ensuite la parole, qualifiant le travail des policiers de « déplorable » et la jurisprudence soulevée par l’avocat de « très solide », battant ainsi en retraite sans même chercher à livrer combat.
La parole ira alors à la partie civile, c’est à dire au gérant du carrefour, qui geignit d’avoir perdu « 1400 balles de sa poche », la somme évidemment gonflée de ce qu’il aurait aimé pouvoir se faire sur le dos des précaires ayant besoin de protections hygiéniques (qui est un bien de première nécessité) et qu’à défaut il espérait soutirer aux maigres finances de nos camarades. 
Après à peine un quart d’heure de délibérés, le juge décide donc en toute logique d’annuler toute la procédure à l’encontre de nos camarades (sous x ou non) qui peuvent donc repartir libres, entouré de leurs proches et bien décidés à repartir pour de nouvelles aventures, le tout dans une explosion de joie collective et communicative.
IV-La morale de l’histoire ?
-La solidarité du mouvement tout au long de la procédure est ce qui a permis la déroute policière une fois au tribunal. La solidarité des interpellés en GaV qui se motivent et se soutiennent les uns les autres à ne rien déclarer, les manifestantes qui viennent mettre le commissariat sous pression pendant des heures, les lectures collectives de dossier, les rendez-vous à plusieurs avec l’avocat… On part tous ensemble lutter dans la rue et on repart tous ensemble du tribunal.
-Rien n’est jamais perdu d’avance, même avec de la vidéosurveillance qui produit des images d’excellente qualité. Ce, d’autant plus si on a des fringues unies pour tout les manifestants et des parapluies pour se protéger des caméras.
On a tout a gagner à prendre ensemble en main son dossier, plutôt que de tout déléguer aux professionnels de la justice.
Notre force ne peut être que collective !
Relax y’a ressac !

Menstruations, répression, rébellion!

Tou.te.s ensembles pour soutenir les quatre du 8 mars.
Le 8 mars dernier, journée internationale des droit des femmes, se tenait comme chaque année à cette date des manifestations pour les droits des femmes et des minorités de genre. Cette année cependant celles-ci furent marquées par leur inscriptions dans la séquence du mouvement contre la réforme des retraites qui battait son plein depuis déjà près de deux mois.                                  
C’est pourquoi, à Brest le 8 mars 2022, en plus de la manifestation du soir à l’initiative de différents collectifs féministes, un autre rendez-vous avait été fixé dans l’après-midi à l’appel de certains syndicats.         
        
Dans ce contexte de lutte contre le recul d’un droit social et de l’appauvrissement généralisé de la population lié à une inflation record, l’AG des luttes de Brest avait décidé de mener lors de cette journée une action contre la précarité menstruelle. A la suite de la manifestation syndicale, un cortège de plus d’une centaine de personnes se dirigea vers un supermarché du centre-ville. Plusieurs dizaines de manifestants entrèrent afin de récupérer toutes les protections menstruelles disponibles et les  redistribuer plus tard gratuitement. L’action se déroula sans  incident, mais lors du retour vers la faculté de Segalen la police intervint et 5 personnes, prises au hasard dans la charge furent arrêtées puis placées en garde-à-vue.                 
Solidaires en garde-à vue, tou.te.s décidèrent dans un premier temps de déclarer un nom collectif – Camille Dupont – mais également de faire usage de  leur droit au silence. Bien qu’elle parvienne finalement à identifier quatre d’entre eux, la police n’aura  en tout et pour tout à la fin de la procédure que trois lignes de déclarations à se mettre sous la dent pour essayer de confondre les personnes interpellées. Malgré la faiblesse des preuves dont disposaient les forces de l’ordre, les cinq à leur sortie furent convoquées au tribunal : quatre pour des faits de vols en réunion en étant  masquées et refus de prises d’ADN et d’empreintes, une pour recel. La police n’ayant pas réussi à identifier une des personnes tenant le nom collectif, cette dernière échappera à la justice.  Reste quatre camarades convoqués le 25 septembre à 13h30 au Tribunal de Brest.         
A cette action nous étions des dizaines, rassemblés avec la volonté de dénoncer le coût des protections  périodiques – reconnues officiellement depuis 2016 comme bien de première nécessité – et d’agir directement sur nos conditions de vies. Pourtant, le 25 septembre, seul.e.s 4 inculpé.e.s comparaîtront devant la Justice afin de répondre de cette action. Le tribunal essaiera immanquablement de faire passer cet acte pour un simple vol refusant par là toute portée politique à ce geste, mais c’est bien à une des pratiques du mouvement social qu’il s’attaquera en essayant de condamner nos camarades, tout comme elle le fait en poursuivant en ce moment même des centaines de militant.e.s syndicaux de l’énergie pour leurs actions dans le mouvement social contre les retraites.
Depuis une dizaine d’année les autoréductions, reprises de marchandises, gratuitisation de la propriété privé réapparaissent régulièrement comme moyen d’action dans les luttes, et à n’en pas douter dans une situation où prolétaires, travailleurs.ses, étudiant.e.s et galérien.ne.s sont toujours plus pauvres, cela n’est pas prêt de cesser.         
Alors venons soutenir les camarades le 25, venons montrer à  la justice qu’iels ne sont pas seul.e.s, que nous sommes prêt à défendre nos pratiques de luttes et que d’autoréduc en manifestation, de blocage en piquet de grève, nous obtiendrons cette vie moins chère sans attendre leurs miettes.
Ressac

Leurs guerres, Nos morts! Communiqué par rapport au conflit israélo-paslestinien

 

Communiqué de la Coordination Autonome de Brest au sujet du conflit israélo-palestinien et de la situation en Israël-Palestine écrit suite à l’offensive menée par le Hamas le 7 octobre 2023

 

La situation actuelle en Palestine-Israël nous dégoûte profondément. Nous sommes dégoûtés par la colonisation de plus en plus agressive du régime israélien qui parque, exploite, tue et humilie d’autres êtres humains.

– par le nationalisme israélien actuellement au pouvoir, qui justifie et fait la promotion de la politique terroriste, raciste et belliqueuse actuellement menée.

– par ses soutiens ici et partout dans le monde qui justifient cette action car cela correspond à leurs visions nationalistes, à leur grille de lecture identitaire ou à leurs projets impérialistes et économiques.

– par l’action militaire et terroriste du régime israélien, mise en place suite à l’offensive elle aussi a dimension terroriste menée par le Hamas. Cette action touche principalement des populations civiles qu’il a parqué et déshumanisé au fur et à mesure de sa politique d’expansion. Des populations qu’il n’hésite pas à massacrer et affamer.

– par les souffrances et le désespoir des populations de Palestine qui sont le fruit de cette politique réactionnaire et dégueulasse.

Mais nous sommes aussi dégoûtés par la politique du Hamas et autres islamistes, par leur projet politique d’établissement d’une société islamique en Palestine-Israël tout aussi réactionnaire que le suprémacisme religieux du gouvernement israélien actuel.

– par leur soutiens comme l’état iranien, bons qu’à réprimer celles et ceux qui souhaitent se libérer de la tutelle religieuse et patriarcale qu’on leur impose.

– par le fait qu’ils utilisent et se nourrissent des souffrances et du désespoir à Gaza et ailleurs. Et cela bien que cette souffrance et ce désespoir des populations nous le comprenions. Du moins, nous essayons de le comprendre à défaut de le ressentir dans notre quotidien…

De même, bien que nous comprenions la volonté de combattre le racisme et le colonialisme par la violence ou d’autres moyens, nous sommes écœurés par la stratégie de guerre nationaliste et religieuse des islamistes en Palestine qui vise à étendre et intensifier le conflit. Ce genre d’objectif réactionnaire ne sert jamais les intérêts des populations mais favorisent ceux des différents pouvoirs en place. Cette stratégie vise d’ailleurs probablement à ce que les répercussions sur la population, la désespèrent encore plus et la poussent dans leurs bras.

Nous sommes écœurés par leur fanatisme et leur idéologie morbide qui se nourrit du désespoir ambiant. Une idéologie qui n’envisage pas une libération et une émancipation effective des palestiniens mais un combat sacré dont la mort peut être l’ultime et glorieuse récompense…

Enfin, nous sommes écœurés par leurs pratiques de terreur à l’égard des civils. Jamais massacrer des gens qui font la teuf, exhiber et cracher sur des corps de femmes nus ne seront considérés par nous comme des actes de résistance.

Dans cette situation critique, nous souhaitons toujours l’émancipation des dépossédés, de Palestine, d’Israël et du monde entier. Nous affirmons plus que jamais la nécessité de luttes qui visent à détruire tous les états et les systèmes d’exploitation dont ils garantissent le fonctionnement. Ce qui réglera définitivement la question de la domination en Palestine, comme dans le reste du monde, c’est une révolution sociale qui vise à saper tous les fondements sur lesquels prospèrent les divers nationalismes, identitarismes et fanatismes belliqueux: une révolution communiste et antiautoritaire, qui vise à l’union entre les exploités de tous les pays.

On nous répondra que cette volonté n’est qu’un mot creux, d’autant plus dans le contexte actuel. Nous voyons déjà les partisans des arguments teintés de réalisme qui se parent de géopolitique, de rhétoriques anti-impérialistes ou bien simplement du contexte ancien et actuel de haine et de désespoir pour disqualifier cette position.

Nous leurs répondrons qu’à défaut d’être « réaliste » à court terme, la révolution est la seule option envisageable et désirable pour sortir de cette impasse. A long terme elle est donc la seule option viable et effectivement « réaliste ».

Et d’ailleurs de quel réalisme parle t-on ? Si le Hamas n’est pas suivi par les diverses bourgeoisies des états qui le soutiennent, il a peu de chances de gagner sur le plan militaire. Et quand bien même, si un embrasement et une extension du conflit se produisaient et aboutissaient à la disparition de l’état d’Israël, quel en serait le prix à payer ? Des milliers d’exploités et d’êtres humains massacrés de part et d’autre des deux « camps » ? Le gouvernement israélien semble en effet d’ores et déjà prêt à massacrer la population de Gaza. L’état de siège est déclaré, la population est déjà pilonnée…

Et au delà du potentiel prix à payer, quel en serait de toute manière l’intérêt ? Pour nous, les guerres des différents états et gouvernements ne sont jamais faites dans l’intérêt de leur population, à fortiori des exploités. Elles profitent toujours in fine à celles et ceux qui sont au pouvoir, et cela peu importe qui gagne à la fin…

Non, la seule disparition souhaitable de l’état d’Israël, c’est celle qui aboutirait par la volonté de détruire tous les états du monde et d’en finir avec tous les pouvoirs qui ne voient en nous que de la chair à canon. Et cette lutte, elle ne se fera pas contre les israéliens mais avec et pour les exploités israéliens comme ceux du monde entier.

On pourra aussi nous rétorquer qu’il est bien facile de porter ces positions de là où on est, nous qui ne vivons pas dans notre chair et notre esprit toute cette violence, toute cette déshumanisation. Et bien c’est peut-être justement quand on est dans ce genre de contexte qu’il faut parler. Quand on a une marge de manœuvre qui rend possible une prise de recul et une réflexion sur ce que l’on estime juste et désirable.

Quant à celles et ceux qui gardent des positions allant dans notre sens, alors qu’ils et elles sont touchés directement dans leur vie quotidienne par la politique colonisatrice du régime israélien, la réaction islamiste et la guerre, nous leur témoignons, pour ce que ça vaut, tout notre respect et notre admiration.

Car il n’y a pas si longtemps, des luttes qui allaient en ce sens existaient encore dans cette région du monde et laissaient entrevoir d’autres possibilités.

En 2023, toute une partie de la société israélienne manifestait encore un franc désaccord avec Netanyahou sur la réforme de la justice, les critiques émises étaient alors de plus en plus vives. En septembre dernier, on voyait même des lycéens en Israël qui refusaient de faire leur service militaire dans une armée d’occupation et condamnaient la politique d’extrême droite de Netanyahou.

En 2019, des palestiniens s’organisaient et descendaient dans la rue à Gaza pour protester contre la détérioration de leurs conditions de vie, manifs d’ailleurs réprimées par les forces du Hamas.

De même, fut un temps ou l’idée de libération de la Palestine, bien que ne faisant pas l’économie de la lutte armée, était portée par certains mouvements qui promouvaient un état unique laïc où chaque citoyen aurait les mêmes droits, peu importe sa religion et son origine. Bien qu’étatiste et social-démocrate, cette vision était pour nous porteuse d’un espoir plus grand que les perspectives d’une lutte à mort…

Encore une fois ce sont leurs guerres, nos morts !

Contre le colonialisme israélien et tous les colonialismes ! Contre la guerre israélo-palestinienne et toutes les guerres ! Contre tous les états et tous les impérialismes !

Soutien à toutes les personnes qui vont encore subir une guerre qu’elles n’ont pas choisi, qu’elles soient de Gaza, de Cisjordanie ou d’Israël !

Soutien aux opposants politiques israéliens et à toutes celles et ceux qui ne tomberont pas dans le piège de l’union nationale de part et d’autres !

Force à tous les combattants et combattantes pour l’émancipation sociale !

Coordination Autonome de Brest

Discussion sur le thème du travail le 8 Avril 2023

La discussion gravitera autours de trois questions :

  • Qu’est ce que la valeur morale du travail ? (Comment se matérialise-t-elle ? Quel impact a-t-elle ?)
  • Le travail se résume-t-il à un cadre capitaliste et au salariat ?
  • Le travail existe-il hors système marchand ?

Qui sommes nous ?

Depuis septembre 2017 nous avons décidé de nous rassembler sous la forme d’un collectif autonome. Celui-ci se base sur l’entraide ainsi que l’autodéfense face à ceux qui nous exploitent et nous dominent tous et toutes.
Pour nous « Autonome » signifie concrétement que nous nous organisons par nous-mêmes, à la base, sans médiation ni représentant-es. Qu’on est les mieux placé-es pour savoir ce qui est bon pour nous !
Le Collectif Entraide-Action de Brest a pour objet à la fois les actions directes collectives de défense et de pression envers les institutions, employeurs, propriétaires, etc… Il s’agit de pouvoir se rencontrer et de ne pas rester isolé face à la précarité qui nous touche toujours plus. Mais il s’agit aussi de trouver des conseils et des possibilités d’action pour nous permettre de renverser le rapport de force ou de débloquer des situations.
Nous vous invitons donc à nous rejoindre pour penser, construire, échanger ensemble des pratiques et des moyens de luttes efficaces, adaptés aux diférentes situations qui peuvent nous toucher tous-tes et chacun-e.
C’est du pouvoir sur nos vies dont il s’agit ! Ce pouvoir, la question est de s’atteler à le reprendre !Dans une société où nous sommes largement dépossédé-es, cela passe par se assembler, s’organiser à la base. Cela passe par l’affirmation et la construction de notre autonomie politique à tous-tes et chacun-e. Cela passe par la lutte !

Pourquoi organisons nous cette discussion ?
Dans une société de plus en plus individualiste, il nous semble urgent d’instaurer ds moments de discutions collectives. Pour échanger sur notre condition d’exploités et élaborer collectivement des sratégies pour mettre à bas ce système. Au-delà des stratégies de lutte nous voudrions aussi discuter de la société que nous essayons de bâtir.

Pourquoi avoir choisi comme thème le travail ?
Dans la société capitaliste dans laquelle nous vivons, le travail occupe une place centrale dans nos vies. Il est à la fois un moyen de subsistance et un marqueur social très important. Dans cette société, travailler signifie être respectable, c’est contribuer au bon fonctionnement de la société. Nous ne sommes pas d’accord avec ses idées et pensons qu’il est temps de redéfinir ce qu’est, et ce quee doit être le travail. C’est pour cela que nous proposons cette discussion.

Pour nous contacter : gastonlacaf-brest chez riseup.net

Prise de parole pour la Coordination Autonome de Brest

(Prise de parole faite en manifestation contre la réforme des retraites)

L’état et les patrons ont encore décidé de frapper un coût par la nouvelle réforme des retraites. Encore une fois ils s’agit de nous faire trimer davantage, d’étendre et d’intensifier notre exploitation.

En parallèle, tout augmente : la bouffe, l’élec et le gaz, les loyers, les transports. Partout, on se fait carotter, toujours au profit des mêmes. Les politiciens et les économistes nous disent que c’est la faute de la guerre en Ukraîne et avant de la pandémie. Nous nous disons que c’est la faute des bourges et de leur système : le capitalisme.

Des bourges qui n’en ont pas grand chose à foutre que des populations se massacrent et se fassent massacrer, qu’on galère de plus en plus à vivre dans des conditions un tant soi peu digne. En effet, cette guerre, comme toutes les autres, elle fait encore une fois le bonheur de certains tandis que d’autres en payent le prix fort!

Cette guerre, elle fait encore une fois le bonheur des états et leur permet d’augmenter leur pouvoir au détriment des populations. Des populations qui ne sont que main d’oeuvre ou soldats pour leur projets impérialistes et nationalistes. Cette guerre elle fait encore le bonheur des marchands d’armes qui font leur profit sur les massacres. Cette guerre elle fait le bonheur des bourges en général qui en profitent pour spéculer et augmenter les prix des produits de base et de l’énergie.

Durant la pandémie aussi, les bourges ont continué à accroître leur pouvoir et à se régaler alors que nous, les dépossédés, ont subissaient bon gré mal gré la gestion inégalitaire et autoritaire de l’état. Encore une fois ce ne sont pas les bourges qui ont subit le fait de rester chez eux, dans des logements exigus et pourris qu’on paye une blinde. Ce ne sont pas les bourges qui sont allés bosser au risque de dégrader encore plus leur santé. Ce ne sont pas les bourges qui ont fait tourner les hostos, dans des conditions de plus en plus précaires et permit aux gens d’être un tant soi peu soignés…

Et là, on nous dit que l’on doit bosser encore plus longtemps pour celles et ceux qui sont responsables de ces situations, pour celles et ceux qui vivent grâce à nous, celles et ceux qui nous exploitent et jouent avec nos vies ? Et bien qu’ils aillent se faire foutre !

Nous ne voulons pas bosser pour l’état ou les bourges que ce soit jusqu’à 64, 60 ou bien même 20 ans ! Non, nous voulons en finir avec leur système dégueulasse. Nous voulons nous réapproprier notre liberté et les moyens de régler nos vies, nous voulons nous réapproprier le pouvoir. Nous voulons exproprier celles et ceux qui nous exploitent et contrôler nous même ce que l’ont mange, ce que l’on construit, ce que l’on apprend, bref ce que l’on produit.

Nous voulons nous réaliser dans notre activité. Nous ne voulons pas bosser dans des tafs soit vidés de sens par leur but et leur organisation, soit inutile voire néfaste car directement tournés vers le profit et l’existence d’un état parasite. Un état bon qu’à nous contrôler, nous encadrer et nous enrôler pour faire tourner la grande machine de l’exploitation.

Pour arriver à ce but, nous voulons nous organiser au quotidien contre tout ce qui nous dépossède ! Dans le mouvement présent, nous appelons toutes celles et ceux qui, à la différence des partis et des syndicats, ne veulent pas seulement ramasser les miettes que nous concèdent les patrons, à s’organiser de manière autonome.

Organisons-nous à la base, par et pour nous mêmes sur nos lieux de tafs, dans nos quartiers, partout où l’on peut. N’attendons pas les syndicats pour mettre de la thune en commun, s’organiser et pour pouvoir se mettre en grève. Dégageons nous du temps et des espaces pour nous rencontrer. Brisons notre quotidien mortifère fait d’exploitation et de contrainte !

Organisons-nous partout pour notre autonomie, contre l’état et le capital !

Des retraites pour tous et pas de travail du tout !

Autonomie Vaincra ! Tout pouvoir à la base !

La réforme des retraites, la carotte de trop!

Alors que l’État et le capital ont déjà repoussé l’âge de la retraite à 62 ans (2010) et attaqué durement le chômage (Réforme de 2019), le gouvernement Macron s’apprête à reculer la retraite jusqu’à 64 ans cette fois. Cette succession d’attaques sur le peu de liberté que nous lâche l’État et le patronat s’inscrit dans une même logique : nous empêcher de ne pas travailler. Autrement dit, attaquer les moments ou l’on peut survivre sans être directement salarié et exploité.

Les réformes libérales de ces trente dernières années nous rappellent aussi que les miettes que nous offrent le patronat par le biais de l’État ne sont que des soupapes et une variable que les patrons ajustent dès qu’ils peuvent. De plus, en renonçant au caractère révolutionnaire de la lutte, les syndicats ont négocié, péniblement, une exploitation plus légère, des « droits » que l’on doit aujourd’hui s’empresser de sauver pour les derniers CDI de la fonction publique et du privé.

Nous refusons de jouer le jeu du « sera-t-elle à 60 ou 64 ans cette retraite ? » car à dire vrai, nous ne voulons plus travailler pour les bourges, nous ne voulons pas être salarié ni exploité ! La cogestion est une stratégie qui nie la nécessité fondamentale d’un renversement du capital et de son avatar : l’État. Qui plus est, cette stratégie s’avère perdante puisqu’elle dépend du bon vouloir du patronat et de ses représentants.

Nous ne nions pas que nos droits ont été acquis aussi par le biais d’un rapport de force. Mais, ce dont les bourgeois avaient peur c’était de la Révolution. Ainsi, les syndicats et leurs chefs-négociards ont avant tout servi à empêcher la voie révolutionnaire de se développer et d’apparaître comme ce qu’elle est : la seule voie raisonnable ! En effet, l’octroi de droits a toujours une limite : le maintien du monopole de la bourgeoisie sur la politique et l’économie.

À cela il faut ajouter que beaucoup de jeunes travailleurs, chômeurs, sans papiers, qui arrivent au turbin, ne peuvent pas rêver plus qu’un minimum vieillesse … Ou au mieux d’une petite retraite de misère. En tout cas pour celles et ceux qui l’atteignent, car rappelons que les plus pauvres sont exposés à la mort avant d’atteindre la retraite ou immédiatement après elle ! Ce que nous voulons c’est être libre ! Finit les cadences qui épuisent les corps et les esprits, finit le travail au profit des marchands ou de l’État qui nous parasitent !

Toutefois, nous considérons que ce mouvement, comme ceux qui l’ont précédé et viendront après lui, permettront toujours des ouvertures et également de diffuser l’idée révolutionnaire de s’organiser par et pour nous-même dans tout les aspects de la vie. Une vie débarrassée du capital, de la marchandise, de l’État, de ses valets fonctionnaires administratifs, des flics. Et aussi des syndicats/partis qui parlent en notre nom et permettent aux bourges de calmer la grogne dès qu’elle s’attaque à leurs intérêts.

Ce que nous espérons de ce mouvement, c’est qu’il permette enfin d’ouvrir une brèche dans nos quotidiens. Brèche qui ne permettra qu’une intensification du mouvement. Quittons le travail dés le 31, et espérons, ne plus y retourner. Pour cela, il nous faut socialiser la grève, la sortir de la rengaine stérile « grève saute-mouton » et manifestations qui n’inquiètent plus que BFM et le Figaro (et quelques clients de la SNCF qui arrivent à payer les billets à 100 boules). Pour cela, il faut une grève qui dure, une grève dure, mais également une grève qui pointe plus que le problème des retraites. Une grève qui recrée une séparation entre les partisans du capital et ceux qui se refusent à négocier avec lui le poids de l’exploitation.

Cessons de nous lamenter sur les salaires de misère et la retraite retardée (voire avortée) et abolissons enfin la marchandise et le salariat. Nous ne voulons plus être de la main d’œuvre et nous ne voulons plus payer !

En plus , cette réforme s’accompagne d’un hold-up généralisé au profit de la bourgeoisie depuis le COVID : inflation, hausse des loyers, hausse des prix de l’électricité, hausse du prix des denrées alimentaires, hausse des prix de l’essence et des transports en commun. Marre du racket organisé ! Ras le bol de payer ! Et parce que nous savons que les prix ne sont que la matérialisation du pouvoir bourgeois, n’imposons plus des réformes à nos ennemis mais la gratuité ! En abolissant le trio dégueulasse État – marchandise – salariat, c’est la bourgeoisie, son pouvoir et toute cette société de classe pourrie que nous ferons disparaître !

Alors aujourd’hui, partout, il faut mettre de la thune en commun (ex : caisses de grève autonomes) pour se dégager du temps pour construire cette lutte qui vaut la peine d’être menée, et qui dépasse la simple question des retraites. Il faut s’organiser partout dans et hors des mouvements pour construire la riposte et rêver à nouveau d’une Révolution ! Nous ne sommes pas naïfs et savons que ce texte à lui seul ne permettra pas la constitution d’un camp potentiellement révolutionnaire … Mais, nous appelons toutes celles et ceux qui en ont assez de ramasser les miettes, à venir construire une dynamique pour reprendre le pouvoir sur nos vies et se libérer du travail.

Alors finalement si nous voulons voir ce mouvement éclater ce n’est pas pour la retraite à 60 ans mais contre le Capital et le travail pour enfin voir les bourges serrer un peu les fesses avant de disparaître ! Ensemble construisons notre autonomie !

Des retraites pour tous et Pas de Travail du tout !

Autonomie vaincra ! Tout pouvoir à la base et vive la Révolution !

Le Féminisme capitaliste n’existe pas!

Le féminisme représenté en grande majorité au XXIème siècle n’est qu’illusion. L’égalité, la vraie, ne peut exister qu’en dehors du capitalisme, qui ne se sert des femmes que comme des machines à produire toujours plus de mains-d’œuvre, toujours plus de travailleurs. Ce travail reproductif des femmes est instauré par et pour le capital, rentrant en opposition avec l’idée même de féminisme. D’ailleurs, au cours des sociétés pré-capitalistes, l’État n’utilisait les femmes qu’afin de produire toujours plus de soldats, toujours plus de guerriers (notons que dès lors où celles-ci en font moins, le droit à l’avortement est mis en danger).

De même, l’idée d’égalité prônée par le féminisme, ne peut exister dans ce modèle de société. Non, pouvoir aujourd’hui travailler et être une femme millionnaire, ne rend pas la société plus égalitaire. Le féminisme main-stream ne fait que flouter les inégalités de cette société, qui nous appâtent et nous donne l’illusion d’une société qui serait plus égalitaire, puisque qu’une femme, un homosexuel ou un noir peuvent êtres millionnaires. Qu’en est-il des autres ?

Les récupérations de ce mouvement sont de plus en plus nombreuses. Le féminisme-washing (tout comme le green-washing) ne nous pousse qu’à consommer plus. À travers une image, une publicité plus saine, plus égalitaire ils nous incitent un peu plus à consommer, à participer à leur jeu qui ne leur permettent que de se remplir les poches en nous appauvrissant encore et toujours plus. Rappelez-vous que derrière chaque produit que vous achetez se trouve un riche multimillionnaire, qui s’enrichit sur vos mal-êtres en exploitant et en écrasant tous les autres. C’est en s’alliant, toutes et tous ensemble que nous pourrons éteindre ce système.

Nous devons, femmes et hommes, nous émanciper de ces représentations, de ces modèles, de ce que le capital veut que nous soyons : des machines à reproduire des travailleurs pour les uns, des travailleurs et de la chair à canon pour les autres. Cette émancipation ne peut se faire sans les hommes, qui doivent s’émanciper et subvertir ces représentations par et pour eux-mêmes. Puisque le capitalisme ne nous propose que deux modèles d’individus, alors inventons-en des milliers pour les milliers d’individus que nous sommes.

N’oublions jamais que nos droits ne sont qu’un château de carte à l’échelle d’une histoire qui nous a trop souvent oubliées.

Soyons toujours vigilant.e.s.

Battons nous chaque jour pour nos droits, pour nos pouvoirs, pour l’égalité et pour l’autonomie

 

Embrouille à la CAF

Nous sommes le collectif autonome des précaires de Brest, nous nous organisons ensemble afin de lutter contre le capitalisme et les diverses formes de précarité qu’il nous impose.

Début Juin, une personne nous contacte, elle tient à nous alerter quant au fonctionnement déplorable de la CAF (mauvaise prise en charge des dossiers, locaux mal adaptés…) et surtout de leur incroyable capacité à décourager les allocataires par un flicage toujours plus inventif et des dossiers qui trainent.

En effet, depuis de nombreux mois le fils ainsi que la belle-fille de cette personne attendent en vain de recevoir leur prime d’activité… 3000 euros que la CAF leur doit et se permet de refuser de verser. Pourquoi ?

Une nouvelle pièce manque au dossier à chaque fois que les exigeances affichées sont remplies ! Une idée germe alors – face à l’isolement qui offre tout pouvoir aux gestionnaires de misère (pôle emploi, CAF…) – le collectif propose d’accompagner la mère de l’allocataire, qui a une procuration, pour mettre la pression à la CAF.

Le mercredi 19 juin, une vingtaine de personnes se retrouvent donc dans les locaux de la CAF. Deux objectifs : obtenir la prime d’activité du fils et de la belle fille de cette personne, ainsi que pointer les disfonctionnements de la CAF de façon plus générale.

La rencontre se déroule sans accros au départ, puis rapidement le vigile se montre vindicatif, nous ne cédons pas, restont groupés, un responsable vient enfin, nous lui expliquons la situation, il contrecare nos revendications et tente de gagner du temps. Il revient nous voir ensuite, pretextant cette fois que la dérogation n’est pas effective et qu’il faut que l’on revienne plus tard avec les papiers néccessaires, nous refusons de nous plier à ses exigeances, il nous fait à nouveau attendre, revient finalement avec les flics. Ils tentent de nous séparer et de prendre l’identité de la mère de l’allocataire, sans succès, nous repartons tous ensemble sans que la moindre identité n’ait été donné.

Le soir même, à notre grande surprise, nous recevons un appel, le dossier a été réglé après notre intervention. Conclusion : 3000 euros enfin versés ! Et apéro pour tout le monde !

* * *

Cet exemple nous montre que si nous voulons obtenir des gestionnaires de misère ce qu’ils nous doivent, il faut le réclamer tous ensembles ! Il faut que la peur change de camp, reprenons le pouvoir sur nos vies et ne soyons plus impuissants face à notre précarité.

Au delà de ça, si nous voulons nous défendre contre les réformes anti-pauvres et enfin repasser à l’offensive pour inverser le rapport de force face au capitalistes et à l’Etat complice, il faut nous organiser, apprendre à nous connaître et à prendre conscience ensemble de notre force.

Tract Santé Coronavirus

Construisons l’autonomie!

 

Avant le confinement, des feux s’allumaient déjà aux quatre coins du monde. La gestion capitaliste et étatique de la pandémie du Covid-19 n’a fait qu’exacerber nos colères et rendre toujours plus flagrante la dépossession de nos vies.

On nous promet un monde nouveau, mais nous savons parfaitement que nos conditions d’existence ne feront qu’empirer. Rien ne changera fondamentalement. Ce sera le monde d’avant, nous serons toujours sa main d’œuvre, les masques en plus. Nos vies seront toujours plus précaires, le travail et sa marchandise rempliront toujours plus notre quotidien et les flics seront toujours plus puissants. La violence des rapports de domination qui structurent notre vie quotidienne sera toujours plus criante.

Pourtant, la crise a vu éclore et se multiplier de nouvelles manières de résister et de s’organiser par nous-mêmes. Face à l’urgence, les pratiques de solidarité et d’entraide tendent à devenir une commune évidence. Aussi évidente que nous, soignant·e·s comme soigné·e·s, sommes dépossédé·e·s du pouvoir sur notre santé à toutes et tous. Aussi évidente que les hôpitaux ne fonctionneraient que mieux en l’absence de l’appareil bureaucratique et gestionnaire, de la rentabilité et la logique du profit qui les gouverne. Aussi évidente que celles et ceux qui travaillent dans le soin, le social, la grande distribution comme dans d’autres secteurs sont sacrifié·e·s sur l’autel de l’économie et d’une société qui ne nous appartient pas.

Finissons-en avec le capitalisme et l’État. Finissons-en avec les rapports de domination qui nous rendent étranger·ère·s à nos vies.

Organisons-nous!

Multiplions les collectifs, les assemblées et coordinations autonomes!

Construisons l’autonomie et son monde!

Contact: gastonlacaf-brest@riseup.net

Marxisme et Révolution sexuelle, Alexandra Kollontaï

Alexandra Kollontaï, Marxisme et révolution sexuelle, La Découverte, 2001, textes originaux 1909-1923, 283 pages. Dispo aux rayons Pensées Radicales-Critiques Sociales: Féminisme-Critique Patriarcat

     Marxisme et révolution sexuelle est un recueil de textes écrits par Alexandra Kollontaï entre 1909 et 1923, introduits et présentés par Judith Stora-Sandor. Ces textes sont de format divers, allant de l’article de presse politique, à la conférence ou encore à la nouvelle littéraire. Ils ont pour sujet principal la question de l’émancipation des femmes, de l’amour et de la révolution.

    Alexandra Kollontaï (1872-1952) est une révolutionnaire socialiste russe devenue bolchévik en 1915. Elle participe à la révolution russe et est favorable à la « révolution » d’octobre qui acte la prise de pouvoir progressive du parti bolchévique. Kollontaï devient alors commissaire du peuple à la sécurité sociale. Dans les années 1920 elle est aussi responsable du secteur féminin pour l’organisation des ouvrières au sein du parti communiste russe. Rapidement critique de la politique du parti, Kollontaï finit par rejoindre en 1921 l’Opposition ouvrière au sein du PCUS. Cette opposition interne, bien que ne remettant pas en cause le monopole du pouvoir par le parti bolchévique, dénonce sa bureaucratie et réclame plus d’autonomie pour les syndicats, l’établissement d’un vrai contrôle ouvrier sur la production. À partir de 1923-1924, Kollontaï est diplomate pour le compte de l’URSS en Norvège, un début de carrière diplomatique qui traduit une volonté de l’éloigner pour ses prises de position critiques. Diplomate efficace, restée relativement fidèle aux « intérêts » soviétiques, elle réussira à échapper aux diverses purges staliniennes et arrête sa carrière en 1945.

I] Résumé des conceptions de A.K

     L’idée principale qui sous-tend les analyses de A. K. est la suivante: la révolution sexuelle doit être liée à la révolution sociale, elles sont complémentaires et inséparables. Vis à vis des questions féminines, elle est influencée par la pensée marxiste de son temps, notamment par L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’état de Engels1 et La femme et le socialisme de Bebel2. Partant de ces influences, Kollontaï s’attache à analyser les rapports sociaux sexués. De cette analyse, elle souhaite élaborer une théorie et une pratique qui permettraient la subversion des rapports de domination entre les hommes et les femmes.

   Avant toute chose, pour Kollontaï, le problème des rapports inégalitaires entre hommes et femmes est lié à l’institution familiale patriarcale. Elle définit cette structure familiale comme bourgeoise, en partie héritière et successeuse des structures familiales propres aux sociétés féodales. Le fonctionnement et l’histoire de ce modèle familial vont de pair avec le capitalisme industriel. En effet, pour A. K. et les marxistes en général, la structure familiale bourgeoise est liée à l’accumulation capitaliste primaire et à la notion de propriété privée. En gros, cette structure familiale permet, par l’instauration de la propriété privée et via l’héritage, l’accumulation et la transmission du capital. Elle est donc un des éléments qui permet la propriété privée des moyens de production, une des caractéristiques déterminantes du pouvoir de la bourgeoisie en tant que classe dominante.

    Pour justifier ce fonctionnement, toute une série de normes et de codes moraux se développent. Cette morale, celle de la classe au pouvoir, devient progressivement hégémonique et s’impose alors dans toutes les classes, peu importe leur place dans la hiérarchie sociale. En pratique, cela se traduit par un asservissement familial légalisé au profit du père et du mari, au détriment de la femme qu’elle soit fille ou mariée. La morale, l’idéologie et la loi assignent ainsi des caractères et des rôles à la femme qu’elle doit endosser pour la perpétuation de la famille et de l’ordre marchand. Cette situation touche d’ailleurs, selon K., les femmes de toutes les classes sociales. Mais, la prolétaire, à la différence de la bourgeoise, subit elle un double asservissement : moral/sexuel et économique.

    A.K. analyse aussi les contradictions et les évolutions induites par le capitalisme dans les rapports entre les sexes. Ainsi, pour elle, le modèle de la famille bourgeoise, dans toutes les classes sociales, est soumis à différentes pressions et mutations liées à l’évolution des rapports de production. Par exemple, elle observe que le rôle de conservation des richesses, dévoué à la famille, est de plus en plus transmis à des institutions telle que des banques ou autres agences au fur et à mesure que le capitalisme se développe. De même, l’existence du prolétariat remet aussi en cause le modèle familial classique. Tout d’abord car l’exploitation des prolétaires et leurs conditions de vie misérables font péricliter la stabilité même de la famille alors que celle-ci se doit d’être une institution durable et ordonnée.

    Ensuite, le besoin de main d’œuvre des capitalistes pousse de plus en plus de femmes sur le marché du travail. L’accès au travail de ces femmes les rend potentiellement moins dépendantes des hommes. De même, du fait de leur situation de prolétaire, ces femmes prennent place dans les luttes de classe modernes. Dès lors, elles peuvent davantage être perçues comme des camarades et des êtres humains par leurs camarades masculins que comme des « femmes » avec tout ce que cette perception et ce processus d’essentialisation entraînent en terme de division des tâches et donc d’inégalité.

    Par ailleurs, toutes ces évolutions du début XXe siècle, conduisent un nombre croissant de femmes à avoir de nouvelles aspirations. Pour K., ces femmes souhaitent affirmer leur personnalité et protestent de plus en plus contre leur triple asservissement dans l’état, la famille et la société. Dès lors, elle estime que leurs aspirations sont dans l’intérêt du mouvement ouvrier:

« Le nouveau type de la femme, intérieurement libre, indépendante, correspond à la morale qu’élabore dans l’intérêt de sa classe, le milieu ouvrier. La classe ouvrière pour l’accomplissement de sa mission sociale, a besoin non d’une esclave impersonnelle du mariage, de la famille, possédant les vertus passives féminines, mais d’une individualité soulevée contre tout asservissement, d’un membre conscient, actif et jouissant de tous les droits de la collectivité, de la classe. » (p. 132).

     Pour toutes ces raisons, K. pense que le combat pour l’abolition des classes et pour l’émancipation féminine est lié. Partant de ce présupposé, elle s’attache également à critiquer la vision de l’émancipation des femmes portée par les féministes de son époque. En parallèle, elle développe un point de vue assez intéressant sur la question de l’amour.

    Sa critique vise principalement une des revendications principales des féministes de gauche: l’union et l’amour libre. Pour ces militantes, l’union libre permettrait une libération morale de la femme car le mariage va à l’encontre de leurs intérêts en tant que sujet qui désire plus d’autonomie. Bien que Kollontai adhère à l’idée de l’union et de l’amour libre comme une des bases de rapports égalitaires entre les sexes, elle pense aussi que, dans une société de classe, sa réalisation effective paraît idéaliste. Au mieux, comme idéal et pratique, il peut permettre d’inspirer les femmes dans leur recherche et leur volonté d’émancipation. Mais, pour A.K, l’union libre doit aller de pair avec une réforme voire une abolition de la famille et de la répartition des tâches qui lui est lié (travail ménager, éducation-responsabilité des enfants). Par conséquent, si l’union libre commençait à être réalisé sans remettre en cause le cadre capitaliste et patriarcal, cela pourrait en partie aller à l’encontre des intérêts de certaines femmes, notamment des femmes prolétaires puisque la division sexuelle du travail et ses implications matérielles ne sont pas fondamentalement remises en cause.

    De plus, la psychologie des êtres humains sous le capitalisme ne permet pas ou peu d’envisager un amour libre effectif. En effet, pour A. K., l’homme du capitalisme n’est pas prêt à ce genre de rapport, ses relations affectives/ sexuelles se caractérisent par un droit de propriété sur le corps et l’âme du partenaire, conceptions qui conduisent, entre autres exemples, à des sentiments d’abandon et de solitude lors des ruptures ou à de la jalousie dans les relations. De même, la culture bourgeoise avec tout ses préjugés, conditionne le comportement des hommes dans les rapports amoureux, les amenant à être dans l’autosatisfaction au détriment des femmes dont l’individualité, la personnalité, est le plus souvent niée.

En conséquence, Kollontaï estime que:

« seules une série de réformes radicales dans le domaine des rapports sociaux, réformes par lesquelles les obligations de la famille seraient reportées sur la société et l’état, créerait le terrain favorable sur lequel le principe de l’amour libre pourrait dans une certaine mesure se réaliser. » (p. 83). Et qu’en somme il faut s’attaquer « aux causes qui ont déterminé la forme actuelle du mariage et de la famille » (p.85).

    Dès lors, A.K. s’applique à penser de nouveaux rapports entre les hommes et les femmes. La recherche et l’édification de ces nouveaux rapports doivent aller de pair avec la lutte pour la réappropriation communiste des moyens de production, avec une révolution sociale. Ainsi, elle souhaite développer une nouvelle morale sexuelle et relationnelle qui doit permettre l’épanouissement d’un véritable amour libre.

    Le but étant, d’arriver à une

« rééducation fondamentale de la psychologie, rééducation qui n’est réalisable [encore une fois] que par la transformation de toutes les bases sociales qui conditionnent le contenu moral de l’humanité. » (p. 163, Meisel-Hess cité par A.K).

    Néanmoins, cette amour-libre ne doit pas seulement s’appuyer sur des réformes sociales mais aussi sur une grande créativité qui peut accroître le potentiel d’amour au sein de la société. En effet, la penseuse accorde un rôle psycho-social de premier ordre à l’amour. Celui-ci permet le développement de la solidarité et de la coopération qui sont notamment les principes élémentaires d’une société communiste. L’amour libre elle l’envisage aussi comme un apprentissage qu’elle qualifie d’amitié érotique ou amour-jeu, une sorte d’école relationnelle pour arriver au « grand amour » dans l’humanité. Pour Kollontaï:

« ce n’est qu’après avoir passé par l’école de l’amitié amoureuse que la psychologie de l’homme sera apte à accueillir le grand amour, purifié de ses côtés sombres. » (p. 165).

    Cet idéal pratique est exigeant. Il se base sur le respect de la personnalité et la reconnaissance mutuelle, demande de l’attention et de la délicatesse pour s’opposer à l’égoïsme car:

« l’idéologie du prolétariat ne peut admettre la soumission de l’un à l’autre, l’inégalité même dans les rapports amoureux » (p. 144).

    De plus, l’amour-jeu implique de ne pas se donner entièrement tout de suite à un autre individu, d’expérimenter. Enfin, même si l’idéal relationnel de A.K. reste « l’union monogamique fondée sur un grand amour » (p. 167, Meisel Hesse cité par A.K), elle l’envisage toute de même comme quelque chose de variable, qui n’est pas figé dans le temps. De même, l’amour-jeu comprend tout une gamme d’union entre les sexes qu’il s’agit de reconnaître, des relations non basées sur l’amour absolu et possessif, ni simplement sur une « brutale sexualité réduit à l’acte physiologique ». (p.164).

    Pour A.K cette école de l’amour permet donc de substituer à des rapports de subordination et de possession des relations basées sur la camaraderie. Plus tard, dans un texte aux teintes nettement plus léninistes, elle estime que:

« plus il y aura de fils ainsi tendus d’âme à âme, de cœur à cœur, d’esprit à esprit, plus l’esprit de solidarité s’enracinera solidement et plus aisée sera la réalisation de l’idéal de la classe ouvrière: la camaraderie et l’unité » (p. 200).

II] Perspectives et critiques

    Nombre des réflexions de Alexandra Kollontaï peuvent être intéressantes pour penser et mettre en pratique un projet d’émancipation plus actuel du capitalisme et des divers patriarcats bien qu’il apparaît aussi nécessaire d’en souligner les limites.

    Premièrement, la méthode ou la vision du monde marxistes de Kollontaï lui permet d’avoir une analyse assez conséquente des rapports sociaux sexués. La méthode matérialiste qui consiste à analyser et à historiciser les contradictions de la société, de penser tout simplement la société en terme de rapports dynamiques, est souvent pertinente. Mais, la vision du monde marxiste, malgré l’avantage d’une bonne méthodologie, n’empêche pas certaines « faiblesses ». Ces manquements sont visibles notamment dans son exposé des bouleversements de la famille que provoquent le développement du capitalisme. Dans cette analyse A.K a parfois une lecture peut-être un peu trop « linéaire » ou « automatique » des évolutions sociales. Cette lecture est souvent propre aux penseurs marxistes de ce temps qui, influencés en partie par Engels, tendent à des interprétations « évolutionnistes » et « automatistes » du type: le développement des forces productives3, induit par le développement du capitalisme, créent les conditions (plus ou moins idéales) pour la socialisation des moyens de productions et donc la révolution prolétarienne.

    Par exemple, A. K. pense que certaines prérogatives de la famille sont progressivement prises en charge par l’état lors du développement capitaliste. L’école, les crèches, cantines etc sont de plus en plus développées et permettent donc une dissolution partielle de la famille bourgeoise. En parallèle, elle pense que l’accroissement du travail féminin amène les femmes a potentiellement plus d’indépendance. L’analyse est en partie vraie mais une chose qui n’est pas ou peu montrée par A.K c’est que nombre des institutions qui entendent se substituer à la famille et au travail de la femme sont des secteurs de travail composées surtout de femmes.

    Or, socialiser le travail/l’activité des femmes en le sortant de la famille mais en conservant son caractère féminin, par la composition des travailleurs ou l’organisation et la fonction même de la dite activité, cela n’amène pas forcément à une disparition de la famille et à la fin de la domination masculine. Non, cela conduit même potentiellement à une concentration de la cellule familiale en diverses institutions voire à son « étatisation ». Son caractère privé devient alors « public » et peut jouer contre l’intérêt des femmes, la domination sous la pression du capital, ayant juste changer de forme.

    L’idée la plus pertinente des conceptions de A.K reste celle qui sous tend tout le bouquin, à savoir que la révolution communiste doit aussi être une révolution sexuelle (et vice-versa).Bien que datées, puisque nous ne ne sommes plus dans la même société et que nombre de théories et d’analyses sur les questions de genre ont vu le jour, ses réflexions restent selon nous pertinentes.

    En effet, tout projet d’émancipation radicale doit viser à la destruction du capitalisme, des divers patriarcats et à la subversion des normes de genre. Car, ces systèmes, à l’échelle du globe et selon diverses modalités, s’interpénètrent toujours même si cela se fait de manière différente qu’à l’époque de A.K. Il est nécessaire de rappeler cet objectif de la révolution à un moment où de nombreuses luttes radicales, tant par leur conduite que leurs objectifs, voient le jour contre divers pouvoirs économiques, étatiques et patriarcaux dans le monde. Enfin, il apparaît aussi nécessaire de réaffirmer cet objectif car actuellement certaines luttes contre le patriarcat et les normes de genre, tendent en parallèle à une volonté d’intégration au système libéral bourgeois dans divers pays.

     De même, les conceptions d’A.K sur l’amour libre sont toujours en partie d’actualité. Elles sont encore inspirantes pour envisager ce que peuvent être nos rapports amoureux actuels et futurs et même l’ensemble de nos relations humaines. Elles proposent des pistes pour une conception réellement égalitaires et sensibles de nos rapports inter-personnels et intimes.

    Cependant, certaines conceptions de A.K ont aussi des limites. Et même si celles-ci sont, pour une part, explicables par le contexte politico-social de son époque, il nous paraît essentiel de les critiquer. En particulier parce que ces idées ont eu et continuent d’avoir une influence plus ou moins néfastes sur la manière dont on a pensé et dont on pense aujourd’hui la révolution. Tout d’abord, on ne peut qu’être d’accord avec Judith Sora-Standor lorsqu’elle souligne le caractère « utopiste » de certaines positions de A.K. On l’a déjà souligné, cet aspect transparaît dans son analyse marxiste de l’évolution des rapports sociaux. Mais, ce caractère utopiste, on le retrouve encore plus lors de certaines conclusions politiques. En effet, parfois, on a l’impression que, pour la militante révolutionnaire, les luttes ouvrières et la mise en place d’une économie socialiste suffisent presque à elles seules pour résoudre la question de l’égalité entre les sexes. Chose étrange puisque son cheminement de pensée l’amène le plus souvent à envisager la lutte pour l’émancipation féminine et la lutte sociale comme complémentaires…

     De même, dans ses textes datant de la révolution russe on perçoit un ton quelque fois « simpliste/ utopiste » et très enjoué. Parfois, elle n’hésite pas à parler de « paradis terrestre » pour qualifier le monde qu’elle souhaite et qui serait l’œuvre de la révolution prolétarienne… Cet enjaillement s’explique aussi par la période de la révolution russe qui est alors riche en potentialité révolutionnaire, surtout pour un acteur de premier plan comme A.K.

    Par ailleurs, il peut heurter certains lecteurs plus actuels puisque nous vivons dans une période où la désillusion et le nihilisme sont très présents, y compris dans les milieux dits radicaux. Des sentiments pessimistes qui ne sont effectivement pas très fertiles pour se mobiliser et désirer un monde plus libre. Il n’en reste pas moins qu’on ne peut pas opposer à ces sentiments un utopisme trop simpliste qui n’est pas plus désirable… En effet, celui-ci peut produire un travestissement du réel et cache aussi, bien souvient, des manques au niveau de l’analyse et de la proposition politique.

    Cet « utopisme » de la penseuse marxiste on le retrouve notamment dans sa nouvelle à la fin du bouquin qui évoque l’évolution des relations amoureuses en fonction du contexte politico-social, mais qui ne prend pas assez en compte divers aspect du réel.4

   Enfin, lorsque l’on souhaite une révolution sociale réellement émancipatrice, il y a de quoi être en franc désaccord avec certaines de ses positions politico-sociales. Ces positions sont aussi davantage visibles dans ses écrits datant de la révolution russe. Premièrement, puisque A.K est léniniste, elle est aussi étatiste. Ainsi, la socialisation, la mise en commun des moyens de production et de consommation, sensés aider à la destruction de la famille, elle l’envisage comme l’œuvre de l’état. Or, que celui-ci soit prolétarien ou bourgeois, à la fin le résultat reste le même: la dépossession des moyens de régir nos existences au profit de classes et de concepts parasites.

    Deuxièmement, Kollontaï, comme nombre de révolutionnaires de son temps, est pétrie de morale productiviste et d’idéologie du travail y compris vis à vis de la question des femmes:

« La république des travailleurs considère la femme avant tout, comme une force de travail, comme une unité de travail vivant » (p.220).

     De même, elle a une vision encore très morale de la prostitution et parfois très traditionnel des rôles féminins. Clairement abolitionniste, vu que la prostitution est avec le mariage l’une des formes d’exploitation de la femme, elle utilise pour la décrire tout un vocable caractéristique de la critique de cette époque qui est moraliste et hygiéniste.

    Enfin, alors que Kollontaï peut analyser et exprimer de manière assez clairvoyante la dialectique individu-collectif, au cœur du projet émancipateur communiste, elle fait parfois preuve d’un collectivisme niveleur voire totalitaire qui gomme cette même relation somme toute complexe. Par exemple, dans certains textes sur l’amour et la morale prolétarienne:

« […]la classe ouvrière subordonne l’amour des membres de la collectivité les uns pour les autres à un sentiment plus impérieux : l’amour-devoir envers la collectivité  » (p.203).

« La morale prolétarienne prescrit: tout pour la collectivité. » (p.204).

     Cette soumission de l’individualité à la collectivité, elle l’applique d’ailleurs à la femme et pas qu’à l’amour, montrant par là à quel point ces positions peuvent être dangereuses. Par exemple, lorsqu’elle évoque la maternité en URSS envisagée clairement comme un devoir social:

« Pendant neuf mois, elle cesse de s’appartenir à elle même, qu’elle est au service de la collectivité, qu’elle produit de sa chair et de son sang un nouveau travailleur. » (p. 222).

     Voilà un passage qui remplirait de bonheur n’importe quel étatiste accompli. On peut d’ailleurs remplacer « collectivité » par « patrie » et « travailleur » par « soldat » pour voir aisément à quel point ce que ce genre de pensée peut avoir de commun avec d’autres mouvements autoritaires de type nationaliste ou fasciste par exemple.

     Tous ces points de vue sont caractéristiques d’une certaine vision de la révolution et de l’émancipation par les bolchéviques russes et d’autres tendances révolutionnaires de cette période, y compris certaines tendances moins autoritaires. Il va de soi que ces présupposés contre-émancipateurs sont bons à jeter aux ordures de nos jours. D’autant plus que l’histoire du mouvement ouvrier et de la révolution russe nous ont largement prouvé leur invalidité tant théorique que pratique…

III] Forces du bouquin en soi

    Le bouquin, en plus d’être un condensé de la pensée de Alexandra Kollontaï, a aussi un certain intérêt historique. Premièrement, il nous fait découvrir les positions d’une partie de la social-démocratie russe vis à vis de la question des femmes et du patriarcat. De même, on en apprend plus sur la condition de la femme et les rapport sociaux au début de l’URSS. Par exemple, les conférences de la penseuse, même si elles sont celles d’une dirigeante, nous livre des informations sur les rapports sociaux, la situation de la femme durant la période du communisme de guerre. Responsable des questions familiales, sexuelles et féminines, elle nous décrit divers changements dans la vie quotidienne et les mœurs soviétiques, la mise en place d’institutions collectives comme les cantines, les jardins d’enfants, les logements communautaires etc.

    Mais, c’est davantage le travail de sélection et de présentation de Judith Sora-Standor qui nous en apprend plus sur la pensée bolchévik et la situation de la femme en URSS des années 20 aux années 60. Ce taf montre que les idées de Kollontaï ont toujours été minoritaires au sein du parti et que Lénine lui même était pétri de préjugés bourgeois sur la famille et la sexualité. De plus, après 1926, et la stabilisation du pouvoir bolchévik, il y a une tendance à la conservation de la cellule familiale en URSS. Par exemple, en 1936 l’avortement est aboli. S’appuyant sur l’analyse de Marcuse, Judith Sora-Standor estime alors que la socialiste soviétique post-révolutionnaire fonctionnait avec les mêmes présupposés que la société capitaliste. En effet, dans cette société l’individu était lui aussi envisagé seulement comme un producteur de biens. Les valeurs bourgeoises et soviétiques étaient alors très similaires. Elles se manifestaient et s’incarnaient dans une certaine morale du travail et sexuelle

     Ainsi, dans les années 1960, la société soviétique était toujours une société patriarcale, dirigée par des hommes, où les tâches d’ordinaire dédiées au femmes, le ménage et les enfants, reposaient encore majoritairement sur elles. Le pouvoir soviétique, comme nombre d’autres états et pouvoirs autoritaires avant lui, a donc bien compris l’intérêt de conserver une cellule familiale stable ainsi que des mœurs « non dissolues » pour se maintenir en place et assurer le bon fonctionnement de son mode de production.

     In fine, Kollontaï, bien que proposant des pistes en tant que femme et révolutionnaire pour abolir la famille bourgeoise, s’est vue opposer une fin de non recevoir par la majorité du parti et le cours de la révolution russe. En outre, elle aussi était parfois influencée par les principes idéologiques autoritaires, moralistes et productivistes propres à la pensée bolchévik. Par conséquent, elle n’a pas réussi à résister à la pression politico-morale des années 1920-1930. Le meilleur exemple de cette poussée réactionnaire se voit au travers de l’évolution du concept d’amour-jeu qui devient « l’amour camaraderie ». En effet, pour Judith Sora-Standor, avec cette nouvelle terminologie le

« contenu sexuel s’efface au profit du sentiment de solidarité envers la collectivité. La comparaison […] nous donne un assez bon aperçu de l’influence du puritanisme ambiant qui atteindra son apogée sous Staline. »

     Charge à nous, sous tout ce fatras idéologique et « puritain », de dégager ce qui peut être bénéfique à des luttes plus contemporaines.

Notes

1 Friedrich Engels (1820-1895) est un révolutionnaire communiste allemand. En 1844, il rencontre Karl Marx avec qui il partage nombre de vues politiques notamment au sujet du socialisme et de la révolution. Il devient par la suite son grand ami et coécrit avec lui de nombreux ouvrages considérés dorénavant comme des classiques de la pensée marxiste, par exemple le Manifeste du parti communiste (1848). Souhaitant développer un mouvement révolutionnaire prolétarien, il milite au sein du mouvement ouvrier naissant, d’abord à La ligue des communistes puis à l’Association Internationale des travailleurs (AIT). Opposé, tout comme Marx, aux « anti-autoritaires » de l’AIT regroupés notamment derrière Bakounine, il participe activement à la scission de cette organisation et à son effondrement. Ayant à cœur de diffuser la pensée de son camarade auquel il survit, il rédige et publie les derniers ouvrages de Marx après sa mort. Son action sur la pensée de son ami est par la suite fortement critiqué par certains courants révolutionnaires communistes (par exemple : Maximilien Rubel, l’école de Francfort etc). En effet, il est parfois « accusé » d’être à l’origine du marxisme, c’est à dire de la fixation doctrinale de la pensée de Marx en une idéologie. Processus assez contradictoire puisque les développements de Marx et Engels se voulaient à la base critiques et destructeurs des idéologies…

2 August Bebel (1840-1913) est un militant et théoricien socialiste allemand. Membre du Parti social-démocrate d’Allemagne, il en est l’une des grandes figures et le dirige à partir de 1900. Il sera alors l’un des représentants du centre du Parti, entre la gauche de Luxemburg et les réformistes de Bernstein.

3 Les forces productives sont les éléments utilisés par les hommes pour produire leurs moyens d’existence ; elles sont composées de la force de travail du corps humain, force musculaire et nerveuse, et des moyens de production sur lesquels elle s’applique : d’une part, la nature elle-même, la terre, avec toutes ses ressources, et d’autre part, les outils, d’abord simples silex taillés qui ne cessent de se perfectionner, pour aboutir après des millénaires de progrès technique aux moyens de production modernes : les machines mues par une énergie naturelle qui n’est plus la force musculaire. Définition tirée de  wikipedia

4    Cette nouvelle parle des relations et de la conception de l’amour qu’ont trois femmes de la même famille et de générations différentes et on va spoiler un peu pour étayer notre point de vue. La dernière femme de cette famille est née avant la révolution et vit sa prime jeunesse durant la révolution russe, à la période dites du communisme de guerre. A. K. la dépeind comme une femme ayant une conception de l’amour assez intéressante, n’étant pas portée sur les sentiments de jalousie, de propriété et faisant fi des normes morales bourgeoises dans la conception de ses relations intimes. Cette femme a des relations intimes-sexuelles avec le mari de sa mère (son beau-père). Ce dernier est plus jeune que la mère, ils sont tous les deux membres de la vieille garde bolchévique. Elle n’y conçoit pas de problèmes, ne voulant pas blesser sa mère qu’elle aime et ne voyant qu’une manière de relationner avec cet autre personne qu’elle apprécie aussi mais différement. Si on comprend que A.K veut nous montrer la différence dans la conception des relations que peut amener une révolution sociale d’ampleur chez trois générations différentes par cet exemple « non-conventionnel », on le trouve tout de même assez symptomatique de cet utopisme qui parfois la caractérise.

   En effet, dans cette relation, A.K met seulement l’accent sur les valeurs de non-propriété et de camarederie hautement développées par cette femme, à tel point qu’elle ne conçoit pas que, par cet acte, elle peut, selon ses mots, blesser sa mère. Cette péripétie relationnelle ne nous paraît pas très proche du réel. En effet, les « relations » de ce type rentrent dans la catégorie de l’inceste, qu’il y est ou pas de liens biologiques entre les protagonistes. Or, dans le récit, il n’est pas fait jamais fait potentiel ascendant du mari sur sa belle-fille ou d’éventuels violences psychologiques et physiques qui peuvent avoir cours dans nombre de familles patriarcales.

   La volonté de subversion sociale et morale de l’oeuvre perd donc en crédibilité car on a peine à imaginer qu’une révolution sociale et morale, même d’ampleur, amène aussi rapidement à ce type de situation où chaque protagoniste semble s’envisager à égalité alors que hier encore ils étaient enserrés dans un modèle familial plutôt traditionnel.